Au dehors, il neige

Au dehors, il neige

Née un lundi  à 05:00. Attendue, arrivée. Parvenue. Connue. Reconnue. Baguée, langée, nommée, prénommée. Il existe divers papiers dument remplis pour en témoigner. On dit que l’on donne naissance. JE nais. Tu n’es. Au dehors, il parait qu’il neige. On évoque une grande lumière et des trains qui se sont croisés à la vitesse de la lumière sous des cieux-scialytiques. Puis vaccinée. Obligatoire. D’autres divers papiers et certificats tamponnés sont là pour en témoigner, mais de courriers de loin venus, point. Montrée,démontrée. Cela faisait neuf mois que. On calcule. Des mains s’écartent, des voix comptent sur des doigts. Prématurée ? Peut-être pas tout à fait neuf mois pile mais tout comme. Puis couvée.  Bois, dors, dors à poings plus ou moins fermés, pleure. Eveille, s’éveille, réveille, bois, dors. Le tout dans des lenteurs d’aquariums et à l’abri de rideaux blancs. Je silence. Je neige. On ne sait rien d’elle, à part ce front qui se dessine, ces yeux qui appartiennent à l’autre. Oui, de ça on est sûrs. Inconnue qu’on tente de modeler à une forme qui va bientôt disparaitre, s’effacer mais dont elle va emprunter les traits. Certaine moue. Quelques mots aussi sans doute. Mais dont elle ne saura rien. qu’elle conservera. Elle. Sera archéologue. Mais, à l’époque, il est peu probable qu’un adulte de son entourage ait prononcé ce mot. Le patois dont on la lange ne comporte pas assez de lettres pour le former. L’envisager même. On n’aura pas non plus retenu le métier d’antiquaire. La profession eut parue trop luisante. Et puis, les vieilleries on y vit encore dedans. On les prolonge. Collectionneuse peut-être, mais ça n’est toujours pas un métier, une étiquette sérieuse. Ça sent trop le dimanche oisif, ou alors, et c’est pire, la curieuse qui cherche, renifle, la fureteuse. On n’apprécie pas trop ça, ici. En tous cas elle gardera tout, boutons, tessons arrondis d’anciennes vaisselles lui auront l’air plus précieux dénichés sous les couches de terre noire et venus là on ne sait plus comment. La petite, elle voudra savoir mais plus personne n’aura en tête ces éclats de blancheurs ternies décorées de quelques pétales délicats au rose passé, d’or frangés, non, on n’aura jamais vu ça ici où l’on persiste dans le rustique. Le vite fait. Le sommaire. La plus belle pièce, l’unique, c’est el piat’ deul’ Signor, et peut-être un pot ventru de faïence ancienne avec deux rameaux de feuillages verts retenus par un nœud — simple trait enlacé à la peinture marron — avec sur le ventre en lettres vertes W IL VINO. On rira de la voir se trainer à quatre pattes,  gratter cette terre noire autour de la source. finira jardinière, cultivatrice. Pourtant dans le petit jardin où l’année dernière semait graines et noyaux, rien n’est venu. Ces mots que je mets dans leurs bouches ne s’accordent pas au féminin. Ici, on n’aura jamais vu une femme tenir une ferme toute seule. Il faudra la marier. Quand même, on mentionnera sa peau trop blanche, les yeux, les cheveux trop clairs, ici, le soleil sauvage mord déjà ses bras nus, il faut voir comment ! L’été on prendra garde de bien lui couvrir la tête, de calmer ses jeux, sinon, presque chaque jour, à midi une fleur rouge éclose se répand, diluée brutalement dans le verre d’eau où elle se penchera. Les déjeuners affolés s’écourteront. On gesticulera pour la calmer. L’énorme clé de la cave appliquée dans son cou — on dit que c’est un remède efficace — Elle les connait déjà, à peine invitée depuis quelques heures, à travers le lait qu’elle tête et leurs germes filtrés, et surtout les mots tamisés, lointains, la langue, l’histoire des femmes, et de tous ces hommes partis, puis revenus parfois, mais juste pour mourir. Pourrir sous des tombes bien à eux. les étouffe sous divers édredons de plumes. Étouffe et étrangle sous les mots où la terre s’accroche, lunes noires sous les ongles.

A propos de Françoise Durif

Pousse son premier cri en 1959. Carrière stoppée net. Nourrit un ressentiment tenace vis-à-vis de la famille en général. A, malgré tout, connu quelques happy-hours. Et heureusement, il y a l'écriture !

3 commentaires à propos de “Au dehors, il neige”

    • « Archéologie du ressentiment » j’aime beaucoup et je garde. Peut-être un titre ? Merci Fil Berger

  1. Oui, je partage le commentaire de Fil Berger, avec son « archéologie de ressentiment ». Même si cela peut te paraître erroné. Et au milieu de tout cela : trois JE ; le reste tout en corps !