autobiographies #02 | Djibril et Sidonie (pour commencer)

Djibril est en retard. Il a rendez-vous à 15h00 à la piscine municipale. Ses copains vont l’attendre et il n’aime pas ça, faire attendre les copains. On dirait que sa mère le fait exprès. De le mettre en retard. Elle n’aime pas le voir disparaitre tout un après-midi. Il le sait. Elle n’aime pas l’été et les grandes vacances et tout ce temps à tuer dans le quartier. Elle le préfère à l’école. Là au moins elle sait où il est. Alors elle le retient. Djibril surveille l’heure à sa nouvelle montre à cadran qui fait aussi chronomètre. Pour les courses à vélo. Djibril trépigne. Regarde sa mère suppliant. A bout de prétextes ménagers, elle le libère. Djibril saisit son sac à dos, fonce dans le garage, enfourche son vélo, lance le chrono. Il veut battre son record. Dix minutes hier. Il fera mieux aujourd’hui. Djibril et son vélo jaune fluo ne font qu’un. Il connait le chemin par coeur. Djibril file dans l’air chaud de cet après-midi de juillet. Au rond-point de l’hypermarché, un énorme poids-lourd, poussif, s’engage laborieusement. Djibril jette un oeil sur son chrono. Il n’a pas vu le clignotant. Il se faufile. Le routier amorce un virage sur l’Avenue du 8 mai 1945. Le routier n’a pas vu le gamin sur son vélo jaune fluo. Sur le trottoir, une vieille dame lâche son caddie. Les deux mains sur sa bouche pour retenir le cri. La montre faisait aussi alarme. Il est 15h00 sur le trottoir et le temps s’est arrêté.

Chaque jour que Dieu fait, Sidonie balaie le seuil de sa porte. Elle aime ce rituel. Il l’apaise. Dans le tintement du rideau de perles et les frottements du balai, elle ne pense plus à rien. Elle se laisse bercer par le bruit et le mouvement de balancier comme un chuchotement. Sauf quand une voisine ou un voisin l’arrache à sa tâche pour la saluer. Elle a vu un reportage hier à la télévision qui expliquait que les femmes en Inde dessinaient chaque jour un motif sur le seuil de leur porte. Ce motif porte un nom. Elle a oublié. Elle aime cette idée. Elle a repensé à son seuil, poli, à force, par les poils du balai. Alors ce matin-là, elle est allée chercher une craie dans la chambre de sa fille. Et après avoir balayé le seuil, comme chaque matin, elle a commencé à dessiner. Comme elle pouvait. Sans trop réfléchir. Elle s’est redressée. Elle a regardé le seuil comme on regarde les nuages pour y déceler des formes connues. Elle a souri. Ses volutes avaient la forme de points d’interrogation. Ca aussi ça lui plaisait.

Codicille : difficile pour moi de raccrocher le wagon de l'atelier permanent tant le quotidien envahit l'espace personnel. Je sais d'où vient Djibril. Je pense que Sidonie est née d'un geste familier de femmes, maintes fois observé dans mon enfance. J'en ai gardé curieusement le bruit et la douceur. Il me manque encore un personnage. Je le laisse venir. J'ai du mal à convoquer les ombres. Alors en attendant, je teste le codicille et l'image mise en avant...

A propos de Émilie Marot

J'enseigne le français en lycée où j'essaie envers et contre tout de trouver du sens à mon métier. Heureusement, la littérature est là, indéfectible et plus que jamais nécessaire. Depuis trois ans, j'anime des ateliers d'écriture le mercredi après-midi avec une petite dizaine d'élèves volontaires de la seconde à la terminale. Une bulle d'oxygène !

3 commentaires à propos de “autobiographies #02 | Djibril et Sidonie (pour commencer)”

  1. j’aime bien le son que donne Djibril ainsi répété comme l’annonce du drame et Sidonie est réjouissante, à fond le balai!