autobiographies #15 | fou des slangs

Longtemps je me suis parlé de bonheur. J’ai cru pouvoir le traquer dans l’aller-retour entre les traces du crime et les étagères à biscuits et à confitures. J’ai cru qu’il était possible de remonter jusqu’à l’accrochage de la corde à aller décrocher l’horizon. J’ai cru que reviendrait ainsi dans la bouche le goût de la gibelotte en même temps que celui du pain de mie. Mais c’était confondre un tiens avec deux tu l’auras qui vont toujours s’effaçant. Sauf pour quelques mots écrits dans des angles morts de murs.

Second vestibule, une mesure écrite à même le plafond, tout à côté des tiges quadrillant le puits de jour. Juste trois chiffres et une virgule entre le premier et le second. Tracés au crayon de charpentier, celui à tenir des journées entières derrière l’oreille et à mouiller parfois à la bouche, en écartant des bribes de tabac. Avec amour, la mesure à prendre. Il s’agit de l’avenir de la fille de la maison, il lui faut s’entraîner au grimper de corde pour son concours. Mais il faut l’écrire quand même vite, il n’y a pas que ça à faire dans la journée. La virgule, quand même, elle sera bien soignée. Elle a été dessinée rebiquante, suggérant que la langue qui prononcerait les chiffres serait altière. Ce ne serait sans doute pas la langue du renoncement à l’école, plutôt une langue chantante et une langue joueuse aussi, langue s’amusant à paraître d’entre deux langues, d’entre trois même tant qu’on y est.

Cuisine, magnet sur le frigo… dorures et caractères cyrilliques. Juste l’inverse, sans doute, de ce qu’on lâcherait en shutka à la fin d’un repas. Formule choisie, formule peut-être patiemment apprise en profitant d’attentes dans des aéroports. Ici, de toutes façons c’est pour la préparation des repas, pas pour leur digestion ni les shutkas qui vont avec, sauf aux jours ordinaires, les plus nombreux quand même. On ouvre alors le frigo au fur et à mesure du repas, pour sortir le beurre, puis le fromage et, à chaque fois, la dorure renvoie un éclair, comme pour rappeler que tout cela n’est qu’une pâle copie de ces repas que d’autres appellent déjeuner tandis qu’ici, on en est encore au dîner et qu’on soupera à la place du dîner, en faisant comme on peut.

Salle de séjour, programme de la télévision. Tout y est mais la plupart des mots n’y sont pas prononçables par qui a suivi la pauvre école d’ici coincée entre les deux guerres et le lycée réservé aux bourgeois. Les enfants d’aujourd’hui qui ont connu l’anglais audiovisuel n’arrêtent pas de demander qu’on lise, ça les fait rire d’entendre prononcer des lettres qui viennent juste les unes après les autres, ce n’est sans doute pas bien méchant mais ça redit à chaque fois qu’on ne sait pas tout ce qu’il faudrait savoir pour le monde où on était né à sa place pourtant.

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