autobiographies #07 | déporté au vestibule

Dans mon rêve, la mort m’avait placé là, au coude du vestibule, bon endroit finalement pour prendre en triple perspective l’ensemble des passages de la vieille maison. En glissant sur la droite, le passage est facile par la porte de la cuisine, toujours béante du plus loin de l’enfance mais toujours surmontée de ces carreaux encollés d’un plastique à facettes qui fait toujours de petits jeux avec la plus infime des lumières -et à la dernière visite à la maison rénovée, il y était encore. Juste le vieux placard à contourner ensuite et se présente la poignée de métal froid en hiver, au ressort tellement fatigué, avec ce bruit de gong solennel qui annoncerait l’arrivée au jardin -encore que ce soit l’espace du devant de la cuisine, autrefois abrité d’une véranda qui faillit, paraît-il, être fermée d’une porte de verre…

Retournement sur soi au vestibule. A gauche, l’équivalent jadis d’une porte, qui aurait été fermée par un lourd rideau, mais alors une porte à arcade comme dans un château. Elle conduisait à l’espace de rangement des friandises, il fallait que tout cela reste à l’ombre, elle devint plus tard espace d’écriture et surnommée pièce du crime avec les traînées rouges sur les murs repeints en blanc mais cela se traverse vite sauf le temps qu’il faut prendre avec le jeu compliqué du volet intérieur de la porte conduisant au second vestibule, porte bizarrement ajourée d’un verre opacifié, porte à patères prête à recevoir les vêtements de travail au jardin, dernière porte avant l’espace non chauffé du second vestibule, petit espace mais long à traverser, toujours très encombré. Et c’est parfois en équilibre sur un pied qu’il fallait faire jouer la poignée de la porte extérieure, au risque pourtant d’y laisser coincer un doigt car la bordure de bois était saillante et la porte vitrée avait une inversion du sens de la poignée. Jardin au-delà après passage par les réduis d’atelier et de lapins…

Nouvelle concentration au vestibule. Reste la grande traversée. Facile, droit devant la porte de la salle à manger est presque toujours ouverte. Fascinante porte qui fut autrefois extérieure et donc sans doute le plus souvent fermée. Sa poignée pourrait ne plus avoir de jeu, qu’importe ! Mais elle est là, toujours raclant à son ultime ouverture le parquet ayant recouvert le lino ayant recouvert les carreaux… Dans le nouvel espace de la salle à manger, trois portes se présentent. En face, la fermée de toutes ces dernières années, porte autrefois élégante, peinte sur toute la surface de son bois plein mais porte marquée de coups. Elle eut à surmonter la proximité, pendant bien des années, du poste de télévision et des arrêts brutaux pour avoir été ouverte trop vite, pour avoir interrompu la vue de l’émission que quelqu’un suivait avidement. Derrière elle, la grande chambre, celle où j’ai passé sans doute mes premières nuits hors de maternité. En diagonale, une autre porte, longtemps délaissée et qui est devenue la principale, pour avoir l’orgueil de donner directement sur le couloir. Elle fut aussi le passage privilégié vers la salle d’eau et les cabinets, à partir du moment où il y eut un tel équipement à l’intérieur de la maison, au milieu des années soixante-dix. Retour à la salle à manger. Sur le même mur, en se décalant vers la gauche, la porte à poignée en forme d’œuf, admirablement lisse et à vitres fines -si fines que certains déménagements ont provoqué des bris par emboutissement. C’est par excellence la porte intérieure du couloir, ce fut, paraît-il, juste la délimitation fictive de la moitié du couloir, lorsque celui-ci partageait en deux l’ensemble de la maison, destinée à abriter deux ménages. Au temps où, bien sûr n’existait pas le renfoncement et les deux portes, toutes récentes, de la salle d’eau et des cabinets, portes jumelles, à la même forme de grande planche lisse et peinte avec leur poignée de métal posée sans doute avant la peinture puisque de petits éclats de couleur s’y sont déposés. Retour à la salle à manger. Juste à côté de la porte oeuf-vitres, à gauche, sur l’autre mur, il y a la porte basse en carton, jadis entièrement tapissée, dont le dé-tapissement a révélé des coupures de journaux des années cinquante, la porte au ressort sonore quand on laisse la poignée octogonale de métal remonter toute seule. De là, de cette chambre de mes dernières années à la maison, une porte au fond à droite, condamnée aussi dans la période récente, porte de bois plein et peint avec la même poignée de métal octogonale pourtant que la porte d’entrée à la chambre au vieux parquet. On y passe dans la chambre amputée des cabinets et de la salle d’eau, l’ancienne cuisine du premier ménage, mon ancienne chambre d’étudiant devenue petite et dont la porte est une porte replacée, déclassée peut-être, retapissée à l’intérieur, finissant la série des poignées octogonales de métal, une porte qui donnait fièrement jadis de plain pied dans le couloir.

Ne reste alors que la grande porte de sortie de la maison, la porte extérieure du couloir. Avec sa vitre juste au-dessus, toujours opacifiée de toiles d’araignées. Porte peinte à l’intérieur, porte de bois brut à l’extérieur et à bossages, s’il vous plaît ! Porte à deux pans inégaux, faite pour pouvoir laisser passer les meubles et les cercueils peut-être. Je m’arrête un long moment à écouter. Elle a tant résonné, côté jardin, de mes balles adroitement ou maladroitement lancées !

3 commentaires à propos de “autobiographies #07 | déporté au vestibule”

  1. Me fait penser à : 1.ces jeux vidéos à la première personne, doom par exemple 2. L’histoire de Byzance et ces strates architecturales mêlées et aux réflexions et débats : patrimonialisation versus réemploi 3.ce fameux passage de rilke sur le mur de maison éventrée . Une question : pourquoi le passé simple ? Pourquoi pas le présent partout?

    • La question m’a longtemps fait réfléchir… Pourquoi avais-je différencié certains verbes au passé simple et d’autres au présent ? Ce n’était pas évident…
      Et finalement, je me suis dit que, partant pour une exploration spatiale, je m’étais en quelque sorte refusé l’exploration dans le temps, où plutôt quelque chose en moi -crispé ?- tenait à différencier les deux explorations…
      Merci d’avoir suscité par la question cette amorce de prise de conscience !
      Philippe Sahuc Saüc

      • cette question me vient de l’exercice de progression inspiré de Charles Juliet, où l’on découvrait cet univers de possible déclenché par le présent et le tutoiement. J’ai pris conscience à ce moment là de la puissance du présent, un peu comme la danse macabre de la concordance des temps… La mort nivelle les conditions, le présent nivelle les strates temporelles, les sensations, les informations, provoque aussi bien un effet d’écrasement que de profondeur insondable.