autobiographies #07 | aux portes

1. Porte en fer forgé, noire, froide, lourde ; on l’ouvre en tirant fort mais ça n’est pas assez : il faut pousser le portillon intérieur pour entrer dans la cabine du vieil ascenseur aux odeurs de bois vernis. Les deux vantaux de la petite porte battante rebondissent une fois.

2. Planches grisâtres qui se sont écartées avec le temps, ça moisit aux bords, en bas surtout le bois pourri s’effiloche laissant souffler sous la porte l’haleine glaciale de la cave. Derrière, un boyau de terre battue qui sent le champignon, où l’on range le vin sur un porte-bouteilles rouillant dans les ténèbres. Une énorme clé jaune fait jouer la serrure dans un claquement terrifiant.

3. Porte des toilettes à la turque dans un coin de la cour. Le gros loquet pour s’enfermer coulisse mal : peur de ne pas réussir à l’ouvrir après. Beaucoup trop d’espace sous la porte : peur d’être vue.

4. Peinture en trompe l’œil à tous les étages de toutes les portes des appartements imitant grossièrement le bois comme les teintures la couleur naturelle pour les cheveux des vieilles.

5. Petit bouton ovale en laiton patiné qu’il faut tourner et qui tremble quand on le lâche après avoir refermé la porte du salon à cause des courants d’air.

6. Porte blindée des voisins : paroi de métal gris laqué, parfaitement jointée au chambranle et percée du seul trou de la serrure au dessin de petite fleur. Double clappement du mécanisme quand le monsieur ferme de l’intérieur.

7. Cri aigu, enroué, que l’on déclenche en appuyant sur le petit bouton blanc qui pointe comme le téton d’un sein sur le mamelon de la sonnerie, en haut à droite. On attend sur le paillasson avec le gâteau dans la boite, puis on entend le traînement des savates contre le parquet, un moment encore où l’on sait qu’elle nous voit à travers le judas avant le déclic de la serrure. On entre. Sur la porte retombe le rideau de velours rouge, coupé exprès trop long.

8. En haut de l’escalier abrupt, la trappe lourde qu’il faut pousser à deux mains, menaçant de retomber sur la tête si on lâche parce qu’on a la trouille d’entrer dans le grenier où se cachent des souris et des araignées entre les cartons de vieux trucs et les meubles au rancart.

9. Deuxième porte du cabinet, capitonnée de skaï marron, que le docteur ferme soigneusement après la première, ordinaire et peinte en blanc ouvrant sur la salle d’attente.

10. Désarroi quand, voulant fixer une patère à la porte de la chambre, je découvre qu’il me faudra vivre entre des portes creuses faites d’une matière qui ressemble au carton.

A propos de Juliette Keating

Vit et travaille en région parisienne. Autrice, elle a publié un roman "Awa" (éditions le Ver à soie), un recueil de portraits de jeunes gens illustré par Béa Boubé "Blaise, Léa et les autres…" (éditions Libertalia) et deux romans jeunesse (Magnard). Contributrice à la revue culturelle délibéré.fr.

Un commentaire à propos de “autobiographies #07 | aux portes”

  1. Des portes, des odeurs, des sons, des émotions, la réalité, mon imaginaire, mes souvenirs, merci pour cette écriture précise, si évocatrice. J’ai aimé passé de la 8 à la 9