Carnet individuel | XW

30 | Orpheline

A vol d’oiseau, environ quatre kilomètres du lieu où j’écris ces lignes, un habitant préoccupé par la chaussette orpheline, celle dont on ne retrouve jamais la compagne, a déposé le brevet d’une invention qui résoudra ce problème universel. Deux petits aimants cousus dans l’ourlet accoupleront les chaussettes lorsque nous ne les porterons pas. Une levée de fonds est organisée pour la création de cette société Made in France qui emploiera des travailleurs en situation de handicap.

29 | Epuisement de soi

Est-ce que cela aurait pu être différent ? Au croisement des possibles le choix fait était-il le seul possible ? Le croisement existait-il véritablement ? Je n’aurai pas dû me dis-je. Soit. Alors écrire et se parcourir et explorer les virtualités avec l’espoir que ces fictions vaudront parcours de vie. Le dire est-ce le vivre ? Hmmm… bla bla…

28 | Mesurer le temps

Lu quelque part que le temps pour l’écriture n’est pas un temps pris sur le quotidien ou le sommeil mais du temps en plus et intuitivement j’y pressens un chemin possible sans exclure la possibilité que je sois l’objet d’une terrible séduction mais cette affirmation me turlupine et m’obsède désormais et je me demande dans quelle dimension inconnue se niche cette durée particulière que l’on ne retranche pas au temps et dans l’obscurité où je me trouve je gratte en vain une allumette

27 | Par la lorgnette

Face à l’auditoire | droit | les bras ouverts | parle | mêlant enthousiasme et humour | yeux plissés et rieurs sous une frange inégale (cadeau de la stagiaire au salon de coiffure) | discourant | roué | un soupçon de rhétorique, un autre de cabotinage | les collègues guettent la chute | du lard ou du cochon ? | Difficile de trancher | l’expression du visage n’offre pas d’indices pertinents | seul un petit plissement au coin des lèvres | mais il faut bien le connaître celui que j’observe pour le déceler.

24 | Détente

Pêle-mêle sur le bureau. Indistinct. Rien n’est fixé véritablement. Le ronflement du ventilateur de l’ordinateur accouplé au bourdonnement permanent dans les oreilles. Acouphènes. Rien. Reposant ce rien. Plaisir coupable de ce dissoudre dans ce rien. Lassitude aussi. Abdomen qui se lève doucement. Régulièrement. Ennui qui s’installe. Douleur dans la hanche. Déplacement. Un oiseau passe devant la fenêtre. Ciel bas. Gris. Les bras lourds. Le corps qui s’empèse. S’enfonce dans la chaise. Le regard accroché par une photo. C’était quoi le présent à ce moment là ? Fouiller dans les carnets.

23 | A la pelle…

Bottes caoutchouc vert camouflage aux pieds, je monte le long du coteau, râteau en main. Ratisser les feuilles mortes puis les ramener en petits tas et les verser dans le composteur. Mais avant, dénombrer. Pourquoi pas des feuilles mortes avant de les ramasser. Cinq minutes de marche méditative, souvenir du dojo Zen, treizième arrondissement, Tolbiac. Bon pour la concentration. Compter au hasard, là où le regard se pose. Un, deux… trois cents soixante dix neuf feuilles et huit arbres que j’ai ajouté parce qu’ils étaient là eux aussi. Simplement.

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20 | Money

L’homme opine du chef derrière un paravent en plexiglas, scanne le code-barres des trois cartes postales que je viens de déposer sur le comptoir et d’un mouvement du menton m’indique l’écran digital de la caisse enregistreuse. Le montant est affiché en caractères bleus et brillants. Je farfouille dans le porte-monnaie et dépose quelques pièces dans un réceptacle creux en plastique qui a la forme de l’île sur laquelle je me trouve. A cet instant, nous n’avons que cette monnaie unique en partage.

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18 | 24 heures

– O Dieu, notre refuge et notre force…
M.Bloom allongea le cou pour saisir les mots. De l’anglais. Leur jeter un os. Je me souviens un peu. Depuis quand votre dernière messe ? Gloria et vierge immaculée. Joseph son époux. Pierre et Paul. Plus intéressant si on comprenait de quoi il retourne. Merveilleuse organisation vraiment, qui marche comme un mouvement d’horlogerie. Confession. Tout le monde a besoin de . Alors je vous raconterai tout. Pénitence. Punissez-moi je vous en prie. Grande arme entre les mains. Plus qu’un médecin ou un conseiller légal. Femme grillant d’envie de.

Sur le rebord de la fenêtre. Une niche près du lit. Livre à porter de main. Dimanche. 12h. Livre de poche imprimé le 31 août 1992. Pages jaunies. (dimanche 27 novembre 2002)

Et puis cela fit son chemin… Nevermore, le souvenir du livre de Cécile Wajsbrot s’insinua dans ma mémoire avec ses belles considérations et réflexions sur la traduction, les choix nécessaires pour conserver la mélodie, le rythme de l’original. Alors le mardi suivant je me glisse dans le métro, sort à la station Capitole et entre dans la librairie où j’achète l’édition publiée en 2013 (traduction datant de 2004 et révisée en 2013). Le soir je recopie la nouvelle traduction de l’extrait…

– Ô Dieu, notre refuge et notre force…
M. Bloom avança la tête pour saisir les mots. De l’anglais. Lance-leur un os à ronger. Je me rappelle vaguement. A combien de temps ça remonte ta dernière messe ? Glorieuse Vierge immaculée. Joseph son époux. Pierre et Paul. Plus intéressant si l’on comprenait de quoi il retourne. Merveilleuse organisation indéniablement, réglée comme du papier à musique. Confession. Tout le monde veut. Ensuite je vous dirai tout. Pénitence. Punissez-moi, je vous en prie. Arme formidable placée entre leurs mains. Plus qu’un docteur ou un avocat. La femme meurt d’envie de.
(Livre de poche imprimé le 28 février 2022)

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16 | défilé

Pull passe-partout en coton noir col en V
Un long pull en laine dessiné par mes soins, tricoté par mamie
Jean slim bleu brut
Bottines noires pointues réminiscences Beatles 64
Manteau ¾ gris zinc
Chemise à motifs floraux William Morris entrelacés
Mitaines et doudoune pur synthétique sans manches façon transition énergétique
Écharpe légère noire à pois blanc
Pantalon cigarette à carreau marron et beige trop court
Trois paires de doc Martens colorées et recyclées XXIème siècle
Pull informe en laine, peluché, proche d’un bleu gris
Pantalon velours rouge à revers
Gilet en laine rouge ouvrant sur un T-shirt bleu denim
Longue robe violette zébrée bleu nuit
Sweat-shirt beige aux manches longues rayées par trois fois de blanc
Chemise blanche cowboy col et boutons noirs
Pull polaire col zippé gris souris
Marinière blanche rayée bleue col rond en laine

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14 | Embrasement

Les phares transpercent le rideau de pluie qui tombe dru alors qu’au coin de l’œil défile une végétation intermittente, sombre et compacte, déchirée épisodiquement par une boite postale, un poteau marron d’où se détache l’éclat morne et bref d’une plaque en fer suivi d’un gouffre béant – ouverture d’un chemin de traverse – puis revient informe, indistincte avant qu’une illumination furtive embrase et englobe momentanément la voiture.

13 | Automne

Arbre rabougri à la lisière du bois, à demi décharné, abandonne quelques feuilles roussies et exsangues à la route – offrande mélancolique.

12 | A nouveau frais

… Levé de bonne heure, levé à cinq heures, levé pénible, exercices physiques, petit-déjeuner, notation des rêves, des ruminations, des faits et gestes de la veille… tout cela chaque matin consigné dans le carnet, comme l’on croise les doigts paumes vers l‘extérieur pour les étirer, les délier ces doigts et puis s’ébrouer et attaquer généreusement ce nouveau lundi et voir si une idée surgit sous la volée des touches du clavier.

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08 | Rencontres

Marco Polo James Joyce Paul Mesplé Michel de Montaigne François Roche Joann Sfar Pierre Mendès France Jacques Brel Alexandre Dumont Caravage Nathalie Gantner

07 | Chaque visage un trait

Une paire de yeux noirs et immenses encadrée par un masque chirurgical turquoise et un bonnet rose | Une tête minuscule sur une spirale de lin écru | le pull jusqu’au bas des genoux – un tronc juché sur deux tibias |

06 | …

Personne n’aurait remarqué que le chat blanc aux taches marrons et noires, posté derrière un buisson dégarni, attendait depuis vingt minutes que la mésange charbonnière descende une branche de l’arbuste sur lequel elle piaillait. Pas même le passereau si je n’avais claqué des mains et provoqué un frisson dans la chênaie – d’un coup volière géante – attirant également l’attention du voisin penché sur son potager.

04 | Engourdissement

Quelque chose cloche – un manque – je sens trois bouts de doigt traversés d’un picotement, d’une légère décharge électrique, comme ce jour où encore enfant je recouvris de ma langue les bornes d’une pile 9V… comme ça… pour voir. J’aimerai que cela cesse, je veux masser ces doigts endoloris, les déposer dans l’autre main, mais plus de bras, comme si rien n’existait entre ces doigts et ma volonté. L’anxiété monte, les idées farfelues pullulent soudainement, le cauchemar s’éternise.

03 | Travaux publics

Je charrie des mètres cubes de terre à la main, ébranlé par le vent d’Autan qui souffle fort et assèche la sueur qui perle à mes tempes. De temps à autre, rêveries, l’avant-bras sur le manche de la pelle. J’entrevois en contre-bas, une « fête » chez le voisin. Une tireuse à bière est installée sur la terrasse, les invités font cercle alors que les enfants s’égaillent dans le jardin. Pourquoi n’ai-je pas dévalé la sente pour me désaltérer et rompre avec l’isolement ?

02 | Et si…

Un sourire qui ponctue la conversation. Une invitation dans cette rue animée aux enseignes criardes. Nos deux corps plantés là et ces passants qui nous frôlent sans un regard. Il fait froid malgré le vin qui réchauffe. Et déjà cette amie qui s’éloigne avant de prendre conscience de l’appel. Trop tard. Penaud, une volée de marches puis refuge dans un sommeil amnésique.

01 | Ondée

Le jour décline et j’observe, allongé sur le bain de soleil de la terrasse de la gare TGV d’Aix, les nuages filandreux qui s’agglutinent, s’épaississent noirs au-dessus du massif montagneux et qui, soudain trop pleins, crèvent et dégoulinent en gouttes épaisses sur la pergola et le bitume du parking. S’élève alors du sol rafraîchi le parfum caractéristique de la route mouillée par l’averse et celui-ci se mêle à la chaleur douceâtre d’un mois de novembre devenu tropical.

A propos de Xavier Waechter

"L'écriture amène à faire le tour des choses" (Jacques Serena)

9 commentaires à propos de “Carnet individuel | XW”

  1. N’avais jamais lu sinon à l’instant, grâce à vos mots, « que le temps pour l’écriture n’est pas un temps pris sur le quotidien ou le sommeil mais du temps en plus ». Voilà une bonne nouvelle! Mais la connais cette expérience d’un temps qui s’étire, se densifie, se déploie quand on écrit. Merci à vous.

  2. Merci à la chaussette orpheline (j’en ai un sac plein) qui m’a fait passer ici et apprécier vos textes.

  3. Xavier, un moment que je n’arrivais à lire personne. Voilà, je rattrape, j’en suis à votre 27. J’aime beaucoup votre 18. je vais lire Cécile Wajsbrot .