Celles qui font écrire

Celle qui est partie bien trop tôt sans avoir pris le temps de regarder grandir ses enfants, celle qui a vécu masquée, rêvant d’une autre vie que celle qui était la sienne, celle qui fait toujours des compliments, de ses yeux noirs plein de bonté, celle chez qui on se retrouvait tous les jeudis, celle qui n’a pas pu avoir d’enfant, en a souffert, s’est rattrapée auprès de ses neveux, celle qui ressemblait à Sheila, était institutrice, celle qui était fille unique, celle qui avait une tête de mouton, celle qui prenait ses nécroses en photo pour les montrer aux autres, celle qui cuisinait toujours de bons petits plats malgré son air austère et son arthrose persistante, celle qui a été dans un fauteuil roulant pendant toute sa vie, celle qui habitait à Rians, celle qui vivait dans le Gard et qu’on appelait tata Jeanne, celle qui a eu quatre filles avec un facteur corse, celle qui aimait son fils, la paléontologie et avait peur de tout, celle qui marchait au ralenti toujours en souriant, celle qui avait un chien et une sclérose en plaques, celle qu’on a toujours connu malade, celle qui n’a jamais vu le jour, celle qui couchait avec le père sans pour autant être sa femme, celle qu’on a laissé tomber avec un bébé sur les bras, celle qui aimait son père, celle qui a été très désirée, celle qui parlait comme une charretière et sentait pourtant si bon la brioche, celle qui ne t’a rien appris, celle qui parle du bout des lèvres, celle qui aime bien être au centre, celle qui s’efface derrière toutes les autres depuis qu’une autre est partie bien trop tôt sans avoir pris le temps de regarder grandir ses enfants. Celles-là qui font la tragédie et les secrets d’un roman familial sans cesse à réécrire.

(PS: Les selkies sont des créatures imaginaires issues principalement du folklore des Shetland. Elles y sont décrites comme de superbes jeunes filles qui revêtent une peau de phoque, dans le but de se changer en cet animal marin et de plonger dans la mer. Une fois sortie de l’eau, ce qu’elle fait toujours la nuit, parfois le jour en de rares occasions et le plus souvent durant celle de la Saint-Jean, la selkie quitte sa peau et danse à la lueur de la Lune. )

A propos de Chrystel Courbassier

Après avoir passé une partie de ma vie à Montpellier, j'habite à présent, et depuis 15 ans déjà, dans le petit département de la Lozère, sur le Causse, au milieu des moutons et des mouches. Je m'occupe de mes trois loulous et de ceux des autres au sein de mon activité professionnelle en pédopsychiatrie. Et quand il me reste un peu de temps, c'est au travers de l'écriture que je prends soin de moi (écrits autobiographiques, poésie, fictions). Je partage l'aventure de l'écriture avec quelques ami(e)s inscrit(e)s depuis longtemps comme moi aux Ateliers du déluge. Mardis soirs, week-ends, à la bibliothèque, chez l'une ou bien chez l'autre, en plein été ou sous la neige, de visu, par skype ou téléphone, nous partageons ensemble la même passion des mots et des histoires. Participer aux ateliers de FB depuis l'été 2018 se situe dans la continuité de cette démarche, pour aller toujours plus haut, toujours plus loin !

7 commentaires à propos de “Celles qui font écrire”

  1. Oui j’ai déjà écrit un texte sur les « celle-qui » avec toi en atelier mais ce n’était pas les mêmes….

  2. … et puis une trouvaille tellement synthétique et appropriée ce titre – Celles qui font font écrire ! Belles rencontres aussi, sur le Causse, en Lozère, envers et contre tout, de visu, par skype ou téléphone, juste pour le plaisir de partager des histoires, je les envie !

  3. Oui, je l’aime bien aussi cette « celle-qui »-là. J’ai vécu quelques années d’adolescence avec elle et nous sommes toujours en contact malgré la distance.