Cérémonie secrète

Un tronc sans feuilles       sur le sable      il est planté là     sans racines       voyageur de bois   étrange    l’estuaire fait barrage     des mouettes     s’agitent     crient   ricanent     commères   excitées de leurs derniers potins       elles ponctuent    le bruit grave     du ressac    de trilles aigues     des abris de roseaux     des sculptures sauvages       balisent le vide      de la plage oubliée      le soleil      découvre les rides      des montagnes    dont le nom s’est perdu          elles sont  si vieilles           il est  à la renverse      encore une fois    étonné  de ces poussières d’aube      plus habitué      aux réverbères de nuit       aux rails de nulle part       aux autoroutes gantées de noir           le sable  lui pique les fesses  engourdies      surtout la droite      il ne bouge pas        des traces de chevaux      encore fraîches      ils sont passés      sans le voir   le confondre       avec ce tronc       contre lequel   il est      il sent     son odeur    de pourriture    salée      ses veines humides        gonflées             le corps    s’est perdu     de son axe     cette difficulté     du repère     il bloque       il condamne        il obstrue     les particules de l’enfance       les molécules du printemps      il suffoque     sur les murs immenses     d’Assouan      le vent s’engouffre      serpente     ce bateau si lent         à peine un sillage     blanc     laiteux    le ciel n’a pas d’apocalypse      si on n’y pense pas      une phrase qui surgit       une litanie       un tâtonnement dans le noir       les larmes lui viennent        boire la mort     jusqu’au dégoût       il oscille       entre le saut de l’ange      dans un abîme     sans fond       se pelotonner      au creux     d’un cratère        ouvert aux quatre vents       il se cale    dans un angle      celui   qu’on ne voit pas       l’angle droit         fourmillement     dans la fesse gauche      il pense la buée    qui lui sort de la bouche      ses muscles       sont parcourus de frissons      les roseaux    du bord du fleuve       remuent        doucement      un chant de terre  lointaine       des bosquets d’acacias      coiffent les dunes           le froid       un bras hors du lit      de la chambre bleue       dans la tour ocre     un après-midi de torpeur       les jours d’après     le silence définitif      les jours d’après    les bouquets de traces       les jours d’après          les sanglots     à griffer les murs       les jours d’après        la résignation       ne reste que cette eau de la peau         au goût de mer profonde     il a le regard flottant      une ombre se déplace     sur la droite des concierges volantes      elle s’arrête     repart     ramasse    il ne sait quoi     il bouge un peu      pour mieux voir      elle se rapproche     de lui     démarche syncopée            c’est un homme   emmitouflé     de laines     de gants      de bonnets    il tient un panier d’osier     empli de coquillages        de bouts de bois      de pattes de crabes      séchées    il est là pour le rencontrer      il le sait maintenant      l’homme emmitouflé      a une voix douce     des yeux     bleus   gris       il fouille dans son panier       sort une petite urne     de pierre de lune    pleine de poussière   argentée     la dépose     près du tronc sans racines        reprend son cheminement fragile     un chien noir     trottine     soulevant     de petites tempêtes de sable     il arpente le rivage     se retourne       halète      touche du museau     l’eau trop salée       pour lui         se remet en route    la gueule ouverte     disparaît     le fleuve s’est ouvert       sur la baie ensablée     l’horizon s’éclaire      il se lève       enfin  s’approche de l’eau       les rayons du soleil       rasent la surface       il se met nu     il ne sent pas le froid       il mélange    les deux urnes      pierre de lune       marbre rose      poussière d’étoiles       cendres d’homme      les remet       à  la mer      qui le couvre         d’embrun

A propos de Guy Torrens

Guy Torrens est né en 1952 à Alger. Après des études de philosophie, il se tourne vers le métier d’éducateur auprès de jeunes délinquants. Il anime des ateliers d‘écriture créative à Marseille où il réside. L’écriture et la scène : Chanteur parolier de trois groupes de rock punk ( Fin de série, Dirty Bitch, L.V.3.S) de 1985 à 1995. Tournées principalement en Allemagne, Pologne, République Tchèque, Belgique. Das Klub. Scène vide. La nuit a digéré les derniers spectateurs. Claquements répétitifs d’un soupirail mal fermé. Rythmique minimaliste. « Port de l’angoisse, je bois tes mots, pas tes lèvres. » Les derniers mots flottent encore. Martèlement des pieds, jets de bière, éjaculations spectaculaires. L’écriture et la nécessité : Après la mort de son compagnon qui a partagé sa vie pendant 25 ans, il se consacre entièrement à l’écriture. Poèmes, romans, nouvelles, pièces de théâtre. C’est le bruit du moteur. La mort ne fait pas de bruit. Une fuite sidérée. Celle des rêves. Sombre était le jour, sombre était la nuit. On vivait dans cette opacité, propre à rendre fou, n’importe quel homme normalement constitué ; Le message arriva le matin du 2 janvier. Un cri d’année nouvelle. Anonyme. « La vie n’est qu’un sillon, celui qu’on ne peut tracer, les nuits d’errances sont des meurtres. »