De la terre noire au tarmac

Atelier François Bon – été  19 – Pousser la langue #1 – Un phrase, des sols

Le son mou, aussi doux à l’oreille que la terrifiante douceur aux pieds nus, aux mains nues de la terre fine et noire, froide, autour du bassin où s’imprimaient, se superposant, malaxées en étoiles, en bouquets serrés et  surpeuplés,  en creux, les pattes aux doigts écartés des poules, et dans le sillon creux un mince lac d’infusion noire remontait dans un bruit de succion courte et giclante, giflante, juste avant leurs voix levant des vôôôôooôôôt’ comme d’étonnement interrogateur, tandis que, par-dessus le rebord du bassin l’eau continuait de se perdre tombant par paquets rythmés, sang clair pompé par le cœur de la source et que la terre noire gorgée avait du mal à absorber ; un seul reflet, une courte lame de lumière montait en même temps que l’odeur renouvelée froide et bleue et les chocs sourds des becs durs revenus piquer, picorer entre les étoiles pattues tandis que des morceaux d’une dinette oubliée, tessons bleus piqués en travers affleurent à nouveau parmi les cailloux moussus serrés en petits tas autour du bassin.

Terre battue des sabots des bêtes, des sabots des hommes et des femmes, des enfants, longs brins de paille sèche, mêlés à l’urine et la bouse dans l’obscurité douce et suffocante.

Les cailloux blancs de la cour qui roulent, frottés aux vernis – noirs certainement – la poussière grise en dessous, les cailloux blancs et ronds, d’une rondeur parfaite que la main voudrait soupeser, tenir, après lustration sur la belle robe du dimanche,  les cailloux ovales gris avec une veine blanche, roulent sous les semelles et frottent, et déforment les poches, on ne sait jamais lequel choisir, élire, celui-ci est d’une rondeur encore plus parfaite que celui-là, et l’autre là, a une veine, un accident, une étoile encore plus précieuse.

Macadam fumant de l’après averse, le moment où l’on secoue les parapluies en les refermant, les vêtements détrempés et le long de la large rue montante vers le sommet du ciel, son reflet bouleversé de grosses masses d’écume blanche boursoufflant le revêtement lisse, le miroir humide, glissant, avec la voix d’une femme tout en haut touchant le ciel, silhouette découpée en noir sur fond de tumulte blanc et qui crie look at the rainbow, look at the rainbow, look at the rainbow.

Tarmac du petit aérodrome où la chaleur fait vibrer la ligne de rencontre avec le paysage à l’horizon mobile et brouillé sur lequel — et dans cette frange mince — sont emprisonnés liquides, courent des silhouettes incertaines, se croisent des sortes de véhicules lancés à toute vitesse et qui ont l’air de fondre en leur point de rencontre, tandis que les jambes, piquetées de ce fin sable partout insinué, dansant sur les contours mobiles des pistes, avancent dans l’air épais, se taillent une route dans la fournaise avec le poids des bagages au bout des bras mous.


A propos de Françoise Durif

Pousse son premier cri en 1959. Carrière stoppée net. Nourrit un ressentiment tenace vis-à-vis de la famille en général. A, malgré tout, connu quelques happy-hours. Et heureusement, il y a l'écriture !

7 commentaires à propos de “De la terre noire au tarmac”

  1. ah ben moi je dis que cela valait le coup de s’obstiner, j’aime beaucoup ce bassin avec poules…

    • Merci beaucoup Catherine…question connexion, la ville c’est mieux qu’à 1800 m !!!

  2. Des sensations à profusion, en boucles explosives entre deux « Mou ». Est-ce la mollesse (ou langueur) qui souligne, porte, filtre le tout ?