Des graines, des cieux et des chaussures (absence de)

Tu n’as jamais su marcher jamais poser un pied sur tel sol plutôt que tel autre.

Ô grâce de l’univers taillé d’une seule et mille pièces appréhende ta fin brutale et mêle-toi allongé à la boue dont ils t’ont recouvert, montre leur ce qu’est aimer, se déprendre !

Le sol que son pied a préféré entre tous, celui qui curieusement surgit sous la question et fait une apparition tonitruante dans des nuages de poussière est celui d’une grange, terre battue et plancher par endroits, recouverts de graines ; humble dont le bois saillant, irrégulier, bosselé lui apparut alors l’élément puissant et doux d’un ensemble grandiose, dépassant tout en pouvoir étrange, blanc de poussière de blé, étouffant, où tous courraient se cacher durant la moisson et dont l’odeur lui est restée, flottante, dérobant la silhouette furtive du gardien des temps. Les marches branlantes à éviter en escaladant et, arrivés au sommet, avancer d’un pas hésitant et collé à la poussière du plancher disjoint jusqu’à la lucarne. Fouler les planches de ce territoire inconnu, autre, inaccessible et pourtant assembler le tout comme ça peut à l’intérieur de son propre mystère, retenu, propulsé, replié. Comme plus tard fouler les planches d’un théâtre où l’on serait bien, en silence. Celles d’un bateau en bois qui ne fait que frôler votre quotidien lequel est fait de parquets braillards qu’on sait se retenir de faire craquer en se faisant aérien, comme si on élevait un bébé au dessus de son berceau pour le porter dans les bras sans le réveiller, ainsi que de ludiques carrelages de cuisine à jouer aux dames ou aux échecs pour les très forts, larges carreaux blancs et noirs tranchés dont le souvenir ne s’estompe pas facilement. Je veux dire pour elle : carreaux à jouer à la marelle de deux doigts suivant complaisamment la course de cafards déterminés surgissant le soir, au lieu de prêter l’oreille à quelque avertissement adulte fatigué d’avoir beaucoup travaillé. Quoi, vous les entendez ? Crisser de derrière l’évier et parfois se présenter pour une déambulation nocturne entre deux lames de fond, blanc, noir, comme si le sol à cet instant penchait la tête pour mieux les entrainer dans leur périple, leur marche, leur défilé. Paré à doubler ? Paré ; assistant là à de dignes manifestations de représentants du fond des âges, lui ôtant tout âge à vouloir abolir les frontières entre eux, entre elle et eux, dans l’entrevue abrupte et énigmatique de la profusion de sols où il faudrait poser ses pas et si possible en trouver un où s’arrêter en se disant celui-ci est.

Retenue assise sur les pierres blanches de la terrasse passée au karcher, comme autrefois je m’associe au planétarium des insectes et leur tends volontiers une main d’humain traître à sa cause au passage. Affamées, rouges circonvolutions en tous sens, fouailleuses, transparentes. Tourner, virer, se croiser des yeux globuleux qui se lèvent comme pour s’extraire mais non ! Trop immanente est la tâche sur un territoire de pierres immense et rocailleux brûlé au bleu  vif. Elles circulent. Elles aussi ont leur attachement, leur pesanteur, leur box corps épinglés – séparés – mais plutôt qu’une identité, un logiciel qui bat pour elles le rythme de leur cœur dépris du – moi je, moi je – fines membrures rigides sèches à parcourir la lande, langue survalorisée au passage à base d’une perception sacrée, mystère de ce réel infini ancré dans un sol de supplique, un sol de beauté, un sol qui s’ouvre … alors qu’il devrait peut-être bien être chevillé au corps. La clé le terrain vague ? se donne et se refuse, épuise. Laisse tes pieds s’enfoncer ne marche pas, la vase et le courant les happent c’est tout doux ils se dérobent ils vont se noyer et tu seras libre ! Libéré de tous les planchers en trompe-l’œil que tu as tenté en vain d’habiter.

Et elle, ses cieux fichés dans ses sols perpétuels, condamnée à les scruter ad vitam elle qui croyait au ciel, pour qui l’éternité avait été inventée, fichée dans mon ventre juste retour des choses comme un grand éclat de verre au moins du Saint Louis sous son arbre tendant les bras aux animaux de toute la force de son regard inquiet scrutateur l’arbre l’écorce qui se fait chair et parcourant le sol des yeux s’arrête sur le moindre trait la moindre imperfection le moindre intrus pour le ramasser dans une étourdissante prouesse de déploiement de pinces au secours du corps. Fils à coudre dont des bouts minuscules auraient échappés à sa vigilance et à un regroupement avec ses semblables pour être glissé dans la corbeille à ses pieds en amalgame serré aux chutes de tissus multicolores façonnées en boule retombant parfois à côté, immédiatement subtilisé par le chat et elle criant, d’un cri bref et rauque reflétant le scandale évident de la situation inappropriée qu’elle passait son temps à corriger. Le plus sol mio dans la salle de bains où le cheveu n’avait pas droit de séjour après la chute et se trouvait immédiatement isolé et contraint de faire marche arrière face à la fermeté inébranlable de la gardienne des sols.

Et il, va-nu-pieds, complice tactile de tous sols, indien sur la sente d’une vie déroutée, agrippé par principe, par conviction, par réflexe à tout ce qui se déroule de périmètre sous ses pieds, de toutes natures et de tout crin. Racine du ciel enraciné en haut de tous ses arbres oui les siens à lui comme il est le leur, leur appartient. Juste échange de bons procédés. Justes sols ciel et soleil. Pas pleurer, dénudé. Exquise pauvreté. Ne faudra-t-il pas ici et là arracher quelques blessures provoquées par un par-terre plus agressif qu’un autre ? Roches et échardes, tant fait l’amour avec qu’à la fin on se brise, éclats d’humeurs et de voix, incompréhensions mutuelles, hurler dans la forêt et sur la rue je les déteste. Courir se réfugier dans la profondeur du sol de là haut, inégal, pentus et hospitalier d’où on voit tout au loin. Madame à sa tour monte et après elle, tandis qu’elle agonise, son fils au sommet des grands arbres et traitant ses sols, tous, comme de grands arbres. Ni plus ni moins. Dis donc toi, le chevelu, tu n’aurais pas, tout de même, une paire de ce qu’on appelle vulgairement des chaussures ?

6 commentaires à propos de “Des graines, des cieux et des chaussures (absence de)”

  1. J’aime beaucoup. Tout le début devient si présent que je vis ce sol inconnu par procuration, la métaphore du théâtre, les elle…( ses cieux fichés dans ses sols perpétuels) il… C’est beau. Merci

    • J’ai beaucoup aimé le vôtre je vous l’ai dit ? Ses cieux fichés … C’est ma maman qui avec l’âge était devenue bossue et ne parvenait pas à se redresser, scrutait les sols …
      Je suis drôlement contente que vous l’ayez lu. C’est dur d’écrire pour soi seul. Je suivrai les vôtres avec encore plus de plaisir et d’intérêt du fait de cet échange. Merci à vous.

  2. Étourdissant et merveilleux texte! Les phrases coulent de source sur la peau, en quelques mots ces évocations me sont à la fois concrètes et remplies d’inattendu (le terrain vague qui ‘se donne et se refuse, épuise’, ça me dit immédiatement beaucoup, et les carrelages noirs et blancs, et tant d’autres…), je le relis, il y a une énergie, quelque chose de mouvant, vivant!

    • Ben ça alors … des mots d’êtres humains qui s’adressent directement à moi et qui semblent ne pas faire demi tour droite au vu de mon réel déguisé en imaginaire ! Les deux commentaires émanant des zones de bienfait de ce monde, des fleurs et de jardin ! Me voilà toute esbaudie ébahie et je vais courir tout droit sus au vôtre, Emma. Formidable cette coupure dans le prénom du mail qui n’en est pas une. Je sens ne pas être au bout de mes surprises …

  3. J’aime vraiment particulièrement, parmi les autres, la phrase « Retenue assise sur les pierres blanches de la terrasse passée au karcher, … Libéré de tous les planchers en trompe-l’œil que tu as tenté en vain d’habiter. »
    Vous avez un sens rythmique indéniable, qui donne envie de poursuivre !