Des perles de chaleur partout sur la peau dégoulinent

… compressée entre un édredon en nylon orange seventies et des draps de flanelle blanc cassé réchauffés par une brique réfractaire, une brique réfractaire chauffée plus tôt dans la soirée sur un poêle à charbon, emballée dans une vieille serviette en éponge, rêche, usée, aucun danger à l’horizon, si ce n’est le regard clair de Claude François, pris dans un rai de lumière venu de la rue… 

… le poids du livre ouvert qui repose sur ma poitrine, il reste, il attend l’aube, sans transition, lecture, sommeil, lecture, un nouveau jour… 

… des perles de chaleur partout sur la peau dégoulinent, mouillent les tissus que le soleil transperce, effet de serre, un caillou sous la hanche, inconfort, se dégager, de l’air, de l’eau, la lumière chaude appelle, et soudain la conscience, et l’odeur du matin dans la nature, et le corps se remémore la fraîcheur de l’ombre… 

… comme du plomb dans l’air au Maroc, les toits carrelés des hôtels accueillent ton sommeil, dans tes rêves profonds, aucun scorpion, aucune vermine, et voyageant dans la pénombre et l’air frais que tu respires paisiblement, la voix chantante du muezzin… 

… dehors il gèle, on le sent, à moins qu’on ne l’entende? et dans cette petite pièce miteuse et claire, à même le ballatum, dans des odeurs venues de la veille, odeurs aux relents archaïques, quinze cocons prêts à éclore dans l’humidité chaude et froide d’un matin d’avril…  

… à 4H52 dans le rectangle horizontal bleu gris transpercé d’éclats de lumière blanche, du coton, de l’ouate, à 5H06, le rose et l’orangé fondants pénétraient timidement la matière, à 5H23 tout était vif, assumé, éveillé, et je vis que c’était bien …  

… le ciel d’Irlande est différent, les pluies d’Irlande ne sont pas les mêmes, celui qui n’est jamais allé en Irlande ne sait pas ce que c’est que la couleur verte, où perception et imagination se confondent, tragédie d’une tente sans fenêtre … 

… le cliquetis discret des os d’une cheville, les pieds de la grand-mère enserrés dans des bas escaladent sourdement les marches recouvertes de moquette, et je sus qu’il n’était que dans les vingt-trois heures, et bien loin encore le bruit du moulin à café, irrégulier, matinal, tonalité majeure, solaire… 

… sommeil creux, l’agitation naît du trop plein de calme, pas assez éveillée pour lire, pas assez endormie pour ne pas penser, jusqu’à 5 heures et le passage du premier métro qui berce doucement et réveille les sensations archaïques de mon existence, les premières nuits en face d’une petite gare de province … 

… un oreiller, deux oreillers, trois oreillers, quatre oreillers, quatre oreillers c’est trop, je le sais, je recommence, éternellement, la nuit le corps mène sa propre vie …

A propos de Laure Cassan

Un goût prononcé pour le camouflage, les fleurs, les pensées, la philosophie, la lecture, le théâtre, les bateaux, le soleil, la tempête, le café, la Renaissance, les histoires, Fra Angelico, marcher dans la ville, marcher dans la nature, les écrivain.e.s contemporains comme Gaëlle Obiégly, Camille de Toledo, Pascal Quignard,...

3 commentaires à propos de “Des perles de chaleur partout sur la peau dégoulinent”

  1. J’ai beaucoup aimé toutes ces évocations… le poids du livre sur la poitrine, les bas de la grand-mère, le sommeil sans scorpion au Maroc, l’édredon en nylon orange…toutes ces perles