#doublevoyage #05 |  la suite

La rentrée scolaire s’annonçait — les jeunes filles revenaient au couvent — et il fallut une fois encore laisser la place. Ce sentiment que nous devions nous pousser de côté, que nous étions de trop, longtemps nous accompagnerait, puisque même d’un chez soi, solennellement attesté par des papiers – ah ! les papiers qui donnent aux terres une virtuelle sécurité ! – on pouvait être extrait. Ce fut pour le groupe l’unique éclatement depuis le 16 juin, jour où sur le tarmac de l’aéroport d’Alger il s’était formé. Un éparpillement. Les familles s’éloignèrent, disparurent, sans doute en se jurant de se revoir un jour, de s’écrire – dans les étreintes que n’avions-nous pas dû imaginer pour éviter que l’avenir déchire le lien tellement fragile et pourtant si puissant qu’il nous maintint debout, consolés par la proximité du chagrin de l’autre, encore plus important, plus présent que le nôtre ? – et chacune avec ses baluchons, s’arracha du couvent de la rue Romiguières.

De la rue Romiguières à la rue Saint-Rome, simplement la place du Capitole. Traverser ou longer ses arcades, côté droit de la place, face à l’hôtel de ville, immense bâtiment en briques, pierre, colonnes, troué en son milieu par un passage sombre, une cour intérieure dans laquelle quelques siècles en arrière un duc avait été exécuté. Rue Saint-Rome, maisons hautes, vieilles, sombres, rue pavée, trottoirs étroits, brisés, sales, le tout sentait la boue – le caniveau central disparaitrait bien après notre emménagement – les légumes défaits emprisonnés dans l’eau. Ecorces de citrons, et la fange rayonnait. J’ai aimé cette rue. Pour toujours le cœur s’ébranle, le corps frissonne vague, toujours la poitrine flambe. Fin d’exil, nous habitions au numéro 42.

Toulouse, havre de mes futures errances, ô Toulouse quelque temps plus tard chantée, ville rose faussement nommée dans l’hiver de mon passé, ton ciel noir violent s’abaissait, se penchait, déversait ses nuages glacés sur ton bitume vitrifié. Tes caniveaux gelaient, le linge aux balcons givrait dur, solide, pétrifié comme verre.        
Rue des gestes, rue du May, c’était petit, ça serpentait. Lugubre, pas de ciel. Ou un ciel inversé. Sous la pluie, le pavé bleuissait, resplendissait. Apprentissage de la glisse, je fus une mauvaise apprentie. Chuter c’était sûrement se tâcher. Coulées noires qui s’épongeaient dans les chaussettes, pieds mouillés. J’avais perdu la marche, je glissais — fragile malaisance — sur le verglas des trottoirs, des rues. J’avançais à genoux, à tâtons, tenant les murs pour maîtres du chemin.

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