vers un écrire/film #03 | vignettes de distillerie

…la route est étroite. très étroite. ça tourne beaucoup. un virage sur deux on voit la mer et l’île d’en face avec ses collines jumelles qui vous font voir double même sans avoir bu. il est encore tôt. la lumière est encore douce. elle suggère le relief sans l’écraser de son poing autoritaire du milieu du jour. les loutres brunes se reposent dans les algues brunes. les vaguelettes jouent avec les cailloux de la plage en bruit de fond….

…une grande enseigne noire. le nom écrit en rouge foncé avec un ombrage blanc. la lumière vient de la gauche. de la mer. en dessous écrit en blanc avec des lettres bâtons sans aucun effet. distillery. au-dessus dans un rond orange un vieux marin regarde au loin. barbe et foulard au vent. il tient d’une main une vieille barre à roue. son autre main en paravent pour voir plus loin au loin…

…une longue pyramide de barriques à l’entrée. des vides. les fonds sont peints en blanc ou en bleu ou en vert avec des nombres ou des chiffres ou de signes pour les différencier. codes secrets. elles sont empilées sur trois étages. couchées sur le côté rond avec des cales pour le premier rang. le vent les contourne. la pluie colore en plus foncé le bois de celles de l’extérieur de cette colline. de l’autre côté de l’allée les barriques sont alignées en une longue file. elle sont verticales et pas régulièrement espacées. c’est sûrement temporaire…

…une grande allée entre deux rangées de bâtiments. un vieux tracteur rouge et rouillé à l’entrée avec une remorque longue et large mais pas haute. bâtiments modernes à gauche. peinture blanche et fraiche. grandes fenêtres. un seul étage. bâtiments anciens à droite. enduit gris et sale. entourages de fenêtres blancs et sales. pas beaucoup de fenêtres pour la longueur des murs. deux ou trois étages. des portes à intervalles réguliers. beaucoup de bâtiments. accolés…

…à droite entrée dans une cour en passant sous un haut fronton en pierres et non en briques arrondi avec toutes les lettres du nom de la distillerie en noir. en face de ce fronton un quai qui s’avance dans la mer avec des bites d’amarrage peintes en rouge pour bien rappeler le temps du transport maritime.peut-être aussi pour les voir dans la brume et sous la pluie…

…dans la cour on a à gauche les entrepôts avec grandes portes cochères et à droite un escalier aux marches usées par les passages. rambarde en fer forgé avec deux montants verticaux par marche. en haut une porte à la peinture noire qui s’écaille avec la moitié du haut vitrée. sur la porte des lettres dorées vieillies indique la destination pour un voyage dans le temps plus que dans les bureaux. au-dessus de la porte un linteau vitré en demi-cercle avec boiseries en rayons pour inviter la lumière. Sur le mur en bas de l’escalier une cloche de bronze. un reste de peinture rouge pompier…

…grande porte cochère en bois peinte en noir ouverte en face des bureaux. les tonneaux sont soigneusement empilés sur deux étages seulement et chaque étage est séparé du suivant par de solides bastaings en bois clair. quatre coins par tonneau. le plafond est bas et soutenu par des poteaux en fer forgé ouvragé. murs blancs et très propres. c’est là que le whisky se construit. c’est la partie de la distillerie la plus silencieuse. presque un silence d’église…

… dans le bâtiment du fond il y a plus de bruit. l’eau de vie n’est pas encore du whisky. Le whisky se fait en silence. faire l’eau de vie est plus bruyant. pour l’eau de vie il faut moudre l’orge malté. faire fermenter après avoir mélangé avec l’eau de la source d’à côté et les levures. distiller ce qui sort des cuves de fermentation. récupérer ce qui sort des alambics après avoir retiré la tête et la queue qu’on ne consomme pas plus dans le whisky que dans les poissons. mettre dans des tonneaux. attendre. goûter. attendre encore. éventuellement mettre dans un autre tonneau. attendre. goûter. attendre. c’est le temps qui fait le whisky…

…la boutique qui vend des bouteilles et quelques souvenirs ressemble à une vieille bibliothèque pour volumes reliés cuir. bois sombre et vitrines profondes. tapis par terre et comptoir en bois patiné et repatiné. odeur de poussière et d’encaustique. le jeune homme derrière le comptoir est trop jeune pour avoir vu naitre la plupart des bouteilles qu’il vend…

…l’eau de la source est de la couleur des alambics. le whisky est de la couleur de l’eau de la source. les alambics sont de la couleur du whisky. le whisky est de la couleur des alambics. pour la poule et pour l’œuf je ne sais pas qui était là le premier. ni ici qui a pris la couleur de l’autre…

Codicille :
ce n'est pas vraiment une 3, plutôt un mélange 2 et 3. Une 3 à partir d'une vidéo et de photos, pas d'une vraie journée donc. Une 5. Une tricherie pour que la proposition cubique de François puisse passer dans les tuyaux cylindriques du chantier en cours...
Mais j'ai bien fait attention à la ponctuation !

A propos de Juliette Derimay

Juliette Derimay, lit avidement et écrit timidement, tout au bout d’un petit chemin dans la montagne en Savoie. Travaille dans un labo photo de tirages d’art. Construit doucement des liens entre les images des autres et ses propres textes. Entre autres. À retrouver sur son site les enlivreurs.

3 commentaires à propos de “vers un écrire/film #03 | vignettes de distillerie”

  1. Astucieux d’avoir remplacé les virgules par des points partout. ça a l’air de marcher, j’ai glissé sans problème dans le texte dans les couleurs dans le goût. J’ai donc repris mon texte plein de virgules et j’ai essayé de faire sans! (Tant pis pour le point d’exclamation…)
    Merci!

    • Oui, les points à la place des virgules, ça m’a bien plus. Dans mon idée, la respiration du point est plus longue que celle de la virgule. Dans une énumération, ça donne l’impression qu’on a oublié quelque chose et qu’on le rajoute. Ça donne aussi une alternative aux « qui que quoi quand » qui sont un peu lourds je trouve quand ils s’accumulent… (la preuve dans cette phrase ;-))
      Les trois points m’ont aussi beaucoup plu, j’ai l’impression qu’ils disent la continuité du film davantage que le paragraphe qui commence brusquement par une majuscule et qu’ensuite ils laissent le lecteur continuer à la fin du paragraphe de la même façon et avec le même effet.
      Enfin comme d’habitude, ça nous oblige à nous interroger sur des choses qu’on considère habituellement comme évidentes et c’est pour moi l’une des grandes richesses des ateliers de François : les questions que l’on se pose enfin !

  2. Un peu loin maintenant de la consigne, je n’avais pas fait attention à la ponctuation. Elle fonctionne donc bien. Et la suite de paragraphes crée une vraie atmosphère.