#été2023 #00 | Rencontre

Il a toujours été là, dans la bibliothèque de ma mère, rescapé de ses années de lycéenne. Un classique, couverture kaki sur laquelle on peut toquer. Tout près, aussi rigides, Le Spleen de Paris, Rousseau, Tolstoi, assis dans la rangée du fond, à me regarder grandir. Le titre me frappe à chaque fois, me frappe vraiment. Maintenant on se tourne autour. Un jour on se décide. Les pages ont saisi l’humidité du temps, cette odeur de grenier qui s’accroche entre les sourcils. Âgées, moisies parfois, elles se cassent quand on les corne. Comment j’y plonge ? Pourquoi j’y reste? Il me tient dans un présent épais, suintant, misérable. Il me trouve là où je n’ai jamais été; une ruine de l’Histoire, une ruine de l’existence qui appartient à tout le monde. Il me situe, me demande qui je suis, je prends du volume. Qui? Le livre, le récit, le personnage, oui, le personnage. Ce nom qui colle à vie, qui, prononcé à voix haute, voile les yeux de qui l’a rencontré. Il n’a pas de visage, son corps n’a aucun sens, il est tout seul, chiffonné dans la foule, moite, tout seul, ventousé au malaise, chargé du monde, coincé dans une époque, harnaché à une ville, au vertige de vivre là, ce type est tout seul. Avec moi.

A propos de Lisa DIEZ

Chercheuse polyvalente, sorte d'artiste tout-terrain. Passages par la peinture, la scène, le documentaire, la médiation artistique, la performance en espace public… et l’écriture, soutien fidèle de ces nombreuses traversées. Deux sites : www.soinartistique.fr et www.atelierdiez.com

7 commentaires à propos de “#été2023 #00 | Rencontre”

  1. Rencontre quel beau mot
    « dans la bibliothèque de ma mère … » penser aux livres de sa mère lu en complicité ou en douce ( j’ai lu tôt de ses livres qui brûlaient )
    « je prends du volume » j’aime cette phrase à plusieurs entrées …et le texte énigmatique avec ses matières et cette rencontre dans la solitude

  2. « Ce nom qui colle à vie, qui, prononcé à voix haute, voile les yeux de qui l’a rencontré. Il n’a pas de visage, son corps n’a aucun sens, il est tout seul, chiffonné dans la foule, moite, tout seul, ventousé au malaise, chargé du monde, coincé dans une époque » c’est l’extrait que je vais intégrer à ma compil-fiction dans le groupe Tiers-Livre. Bienvenue à « celui qui a toujours été là » (C’est très rassurant comme image). Merci pour cette belle évocation de lecture, Lisa !

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