#été 2023 #05 bis Hyacinthe

Hyacinthe, elle a choisi ce prénom elle a tenu bon c’était celui de son arrière-grand-père du côté maternel le grand Hyacinthe ouvrier à la tache sur les routes du Nord et du Pas de Calais pour construire les beffrois du travail le père a fini par accepter il leur en a voulu pas facile à porter Hyacinthe quand on a quinze ans mais elle n’a jamais regretté comme un devoir qu’elle avait de transmettre un peu de cette existence il est mort assez jeune elle ne l’a pas connu seulement par quelques photos jaunies et par toutes les histoires que sa mère lui a raconté.

Hyacinthe, il a rarement l’occasion de demander le prénom de ses clients on peut dire même que ça n’arrive pas il peut l’entendre dans la conversation si ça discute derrière il se souvient très bien de ce soir-là sa dernière course il avait déjà éteint son lumineux mais en passant devant les Grands Bureaux un type lui a fait signe il tenait son bras gauche avec la main sa manche tachée de sang il lui a demandé de le conduire à l’hôpital il avait pas d’argent sur lui il a laissé sa carte de visite Hyacinthe il ne se souvient plus du nom de famille mais Hyacinthe ça l’avait marqué.

Hyacinthe, c’est lui qu’elle voit passer chaque matin les épaules un peu courbées son pas hésitant sa démarche lente parfois accompagné de la jeune femme il s’appuie sur son bras Monsieur Hyacinthe comme elle l’appelle quand il entre dans la boulangerie pour acheter sa demie baguette une demie comme d’habitude elle lui dit il met toujours un temps infini à trouver les pièces au fond de son portemonnaie elle a envie de lui prendre des mains parfois il prend aussi un éclair café c’est la fête aujourd’hui Monsieur Hyacinthe elle lui dit.

Hyacinthe, il se souvient de leur rencontre c’était pendant les auditions des enfants en fin d’année au conservatoire de Lens il y a un bout de temps de ça ils ont arrêté la musique depuis c’était en juin entassés dans la salle surchauffée assis sur des chaises inconfortables devant l’interminable défilé des élèves fiers ou tremblants ils étaient assis côte à côte les enfants se connaissaient la soirée s’est terminée tard ils ont bien discuté après autour du verre offert par la mairie et pendant quelques années ils se sont vus régulièrement pour des balades à vélo ou des pique niques en famille et puis ils ont déménagé et n’ont plus donné de nouvelles il n’en a pas demandé non plus.

A propos de Isabelle Charreau

j’arpente plus facilement les chemins de terre que les pavés de la ville, je fréquente l’atelier pour le plaisir comme des gammes, sans projet de partition