#été2023 #11 | D’abord faut que j’explique

Je voudrais parler d’elle mais d’abord faut que j’explique. Avant elle, j’avais d’abord eu une fiancée. Elle avait dix-sept ans. Elle m’aimait si fort, des fois j’en revenais même pas de comment elle pouvait m’aimer comme ça. On se voyait beaucoup. Ma peinture aussi elle l’aimait. Et puis l’écriture. Je lui lisais mes poèmes. Des heures on en parlait. La littérature ça la passionnait. Je nous voyais déjà mariés, une famille, nos gosses. Mais il y a a eu mes parents. C’était la fille d’un ouvrier, un ouvrier de l’usine de mon père. Et ça c’était un problème. Moi j’étais résolu. Ouvrier ou pas, j’étais résolu. On est restés ensembles un an. Puis paf, fiançailles rompues. Rien à voir avec mes parents c’est elle qui m’a quitté. J’ai pas compris. Elle c’était ma lueur dans la nuit. L’équilibre dans le déséquilibre. La perdre, chute libre. Le mal que ça m’a fait. Comme de tomber d’un pont. Un an et demi de désespoir sourd et jamais un mot. Que je comprenne. Soudain me fermer la porte, c’est tout. Et puis mon père. Avant de parler d’elle faut que je raconte mon père. Il faisait du chantage. Tous les enfants devaient lui succéder à l’usine. Si j’acceptais pas il fermait. Et je savais pas comment m’en sortir. Ca m’intéressait pas le commerce. Hautes études commerciales merde. Moi je lisais comme un fou. Rimbaud, les Illuminations et Gérard de Nerval, Lord Byron. Puis j’écrivais derrière. Je me disais devenir poète ou journaliste. Mes manuscrits envoyés à Gallimard, Seghers, toujours refusés. C’était dur mais je faisais avec. Au final j’ai quitté l’école de commerce. Mon père n’a pas vendu l’usine. J’ai passé l’examen de Lettres. Mais je démarre l’université mes poumons lâchent. A peine inscrit à l’unif études au rencard. Bon. Avant de parler d’elle faut encore parler santé. Santé et communisme. J’ai dû aller au sanatorium. 10 mois. Au sanatorium je me mets au communisme. Marx dans le texte. Après des secondaires chez les jésuites ça faisait passer de Dieu à Marx. Mais même si j’avais plus la foi, la doctrine communisme ça me satisfaisait pas complètement. Je prenais des notes. Rédiger un essai critique, 250 pages. Ma critique ; le marxisme manquait de coeur, de culture et d’humanité. L’humanité on la trouvait dans les évangiles, la parole du christ. Mais la religion catholique avait tourné le dos à la parole du Christ. Fait alliance avec le pouvoir et la bourgeoisie. Je voulais éditer mon essai, au moins des extraits. Mais même dans une revue personne n’en voulait. Après le sanatorium retour aux études. Beckett, Joyce, la littérature moyenâgeuse. Mais je vais pas parler de ça. Maintenant je vais parler d’elle. Elle c’est au sanatorium que je l’ai rencontrée. Ca m’avait amoché l’histoire de ma fiancée. Mais avec elle, ma nouvelle femme on s’entendait bien. On avait une complicité. Moi j’avais plein d’idées. Sur la vie, le couple. A deux on formait une communauté de goûts et d’idées. C’était incroyable de bien s’entendre comme ça sur mes idées. Puis coucher avec une fille que j’aimais c’était une découverte, pas du tout comme de coucher avec des filles que t’aime pas. C’était indescriptible comme c’était différent. Le problème, elle était catholique hantée par des préceptes vieillots. Coucher avant le mariage ça lui donnait des remords. Et elle toujours à aller parler à des curés bornés qui donnaient des conseils imbéciles. Des fois j’avais envie d’en bouffer un ou deux de curés, histoire de les empêcher de nuire. Moi je nous considérais comme mariés vu qu’un jour dans la campagne sous le soleil d’été on s’était engagés. Un rite simple, total, extrêmement beau. Ce jour-là j’avais senti dans ma chair la valeur du sacré, de la parole donnée. En plus on devait se marier quelques mois plus tard. Avoir un enfant. Pour moi on était en droit de s’aimer physiquement c’est tout. Et même nous deux au bout d’un moment ça faisait plus sens sans mon gosser. Je finissais mes études mon gosse il est né. J’ai trouvé du travail. Assistant d’unif. A Bonn. Deux ans. Je revenais les week-ends. Au final ça m’arrangeait bien d’être loin. Les enfants j’aimais bien mais ça prenait beaucoup de temps. Et j’avais encore des poèmes à écrire.

A propos de Sybille Cornet

Je n’ai pas de page Facebook ni perso ni privée. Ni d’instagram. Et pas de site non plus autour de mon travail. Je sais que question communication c’est pas top. Je vis mieux dans l’ombre. Mais je travaille à tenter d’en sortir. Je suis autrice et metteuse en scène. Principalement de théâtre jeune public. Le théâtre jeune public est un milieu qui vit un peu en autarcie. On se connait tous et toutes. Et donc la nécessité n’est pas forcément là pour me pousser dans le dos. J’ai une pièce de théâtre publiée Le genévrier chez Lansman. J’ai un texte publié dont je suis contente, une ode aux pieds nus (La matière du monde) édité chez Post industrial animism. J’ai publié des textes poétiques dans un magazine que j’adore et qui s’appelle Soldes almanach, magazine assez branque sur les nouvelles utopies. Il y a une adaptation sonore d'un spectacle performance sur le Syndrôme de Stendhal que j'ai écrit et performé ici : https://www.dicenaire.com/radioautresauborddumonde . Pour le reste, j’ai écrit et mis en scène une bonne dizaine de spectacles, adultes et enfants. Ma compagnie s’appelle Welcome to Earth. J’ai aussi fait un peu de poésie sonore. Pour l’instant je monte un spectacle pour tous petits qui raconte une amitié entre deux arbres, un petit pin nain et un bouleau. Ça s’appellera sans doute Inséparables. J’accompagne une actrice slameuse qui monte un seule en scène autour de sa grand-mère et de l’avortement. Le titre : Bête d’orage. Je fais partie d’une commission qui octroie des aides à la création aux créateurices jeune public et je lis beaucoup de dossiers d’artistes. Aussi étonnant que ça puisse paraître, ça me passionne complètement. Lire des dossiers d’intention de spectacles m’intéresse parfois plus que de voir le spectacle lui-même. J’étudie aussi la dramaturgie (mais ne me demandez par contre pas ce que c’est ok ?). Ah oui, je suis belge et je vis à Bruxelles, ville que j’aime entre toutes.

4 commentaires à propos de “#été2023 #11 | D’abord faut que j’explique”

    • Lointaine remontée dans le passé pour enfin la découvrir et refermer la boucle. Belle prise en main de la.proposition je trouve.

  1. Merci pour ton retour. Pas si simple pour moi cette proposition. Y suis revenue plusieurs fois. Sans doute je la retravaillerai encore… Je suis pas sûre que la pensée en mouvement soit assez claire.