#été2023 #11bis | Fondations

Je le vois plusieurs fois. Il vient de l’autre côté de la vallée. Moi je ne suis pas boulanger, moi je nourris le peuple. Au petit bar, il livre le pain. Et qu’est-ce que tu feras toi dans tes grandes villes le jour où il n’y aura plus de pain, hein qu’est-ce qu’elle fera. Il dit ça et il se réjouit du monde qui se fracasse autour de lui. Parfois ce sont des citations tronquées, des essais, des philosophes, je ne retiens jamais l’auteur. Il ne lit pas les livres sur le présentoir et les étagères à l’entrée, dans le petit bar ce sont, science fiction et livres érotiques. Non je ne crois pas. Parfois il y a l’autre, derrière. Enfin tu sais bien, il y a parfois l’ombre de l’autre, et là je sens le poids des livres, leur immense pesanteur, des couvertures noires, et l’écriture qui dérange et que le temps n’a pas pas allégée. Il y a le boulanger, celui qui nourrit le peuple, celui qui parle et ne lit pas, celui qui voit le monde s’effondrer en riant parce qu’il est seul et qu’il nourrit le peuple, je n’ai pas d’enfant moi, je m’en fous de tout ça, ça ne me concerne pas, et dans l’ombre aussi il y a cet autre, celui qui n’est pas là, celui auquel je pense alors que le boulanger parle, qui nourrit le peuple, il y a cet homme au sweat sombre, aux traits fins, et les tracts, la revue clandestine, la parole qui cisaille, qui traque, une langue paradoxe où la nuance se fait couperet, on peut broyer tu sais avec la nuance, c’est un mot très doux, qui paraît onduler au vent, la nuance, mais il s’achève comme en suspension, et fait penser à ces fines lames si aiguisées que l’on ne sent pas lorsqu’elles s’enfoncent dans la peau, il y a la langue ainsi du boulanger, de l’homme qui nourrit et qui s’en fout pas mal de ce qui se passe dans les villes, de ce qui se passe dans la vallée, ils nous ont eus, ils nous on tous eus, de la blague tu sais le covid, moi je n’y crois pas, encore des histoires que l’on nous fait avaler et dans l’ombre, la belle silhouette fine de celui qui n’est pas là et dont je me souviens, celui qui est resté là-bas dans la ville, au fond de la petite bibliothèque dans ce quartier de la rive droite, à l’Est de Paris, livre après livre, toute la pensée anarchiste, et l’effort constant, la souplesse animale de qui prétend n’être jamais par quiconque abusé.

A propos de Marion T.

Après tout : et pourquoi pas ?