#été2023 #13 | une lettre de Bertrand

Vous me demandiez de vous décrire ce coin où suis revenu vivre. Une notice sur Wikipedia vous dira en gros, pour commencer, que c’est une petite ville avec un passé, je dirai un gros bourg qui fut ville importante dans un temps où le pays était fait de multiples pays, elle ajoute qu’elle est située dans la plaine au sud de la principale montagne de la province, à l’ouest des petites montagnes, à l’est du fleuve, au nord d’une rivière principale. Mais c’est une absurdité, une vision de géographe qui ne tient pas compte de ce qui entoure, de tout près, le noyau dense et ancien, bien serré comme un poing, même si des remparts ne subsiste qu’une très haute tour percée d’un trou par où passer. Rassemblant des images de mes sorties vers autre lieux, même si suis devenu casanier (vous souriez, disons si je suis toujours…) je vais essayer | pardonnez moi de vous ennuyer chère enfant, il ne fallait pas me provoquer, et les environs des villes dans nos régions sont rarement des endroits palpitants | de vous donner de petits flashs sur ses abords immédiats.

Sortant du nœud de la ville vers l’ouest, dans la direction où très loin de nous à mon échelle coule fleuve, passé le trou dans la rangée de maisons jointives qui ont remplacé ie rempart, j’ai suivi dans un matin lumineux du début du printemps, une avenue qui s’élançait, bordée d’une alternance de grosses maisons provençales, à façade sobre, encore citadines et de leurs sœurs qui intercalaient presqu’indistincts dans cette rangée, les murs bordant leurs jardins annonçant déjà les villas de banlieue, entre des platanes aux jeunes feuilles où dansait avec joie féroce un mistral de belle force, ne dépassant ou croisant que deux femmes qui avaient interrompu leur promenade avec chien et cabas pour un conciliabule et une jeune fille portant un gros sac rouge en bandoulière, et une boulangerie et un garagiste comme seuls commerces. La ville s’effiloche peu à peu, assez vite en fait, après la traversée d’un vallon feuillu, nommé coulée verte, trace d’une de ces anciennes lignes de chemin de fer que notre monde juge inutile.

Au mitan d’un autre jour de printemps, un dimanche aigrelet celui-ci, j’ai traversé l’arche creusée au bas de la haute tour et suivi un instant le large boulevard qui, comme elle, est mémoire des anciens remparts, croisant un homme qui portait sur l’épaule un grand carton, un garçonnet et son chien, passant devant un bar vieillot et les quelques personnes emmitouflées qui imaginaient le soleil à venir autour des tables, et quittant la file de droite du flot de voitures ai descendu une petite côte entre broussailles attardées dans l’hiver bordant un parking et grosses maisons citadines que longeait un groupe de personnes âgées encore masqués à une exception près, l’original de la bande, jusqu’au pont traversant la rivière | une femme s’était bloquée dans sa marche en riant, écartelée entre un garçon au tweet rouge avançant sagement sur le trottoir et un blondinet en tweet vert salade se ruant pour traverser | virant encore ai piqué vers le nord entre grosses villas modernes entourée de jardins grillagés. Le parking face au Pôle Emploi était vide et plus loin, après le canal, j’ai traversé un petit espace presque campagnard.

Un jour d’été, à l’ouest de la ville, sous un ciel bleu dur où le vent faisait courir quelques gros nuages blancs attardés une petite rue m’a fait déboucher entre une succursale bancaire et la devanture ascétique d’un opticien sur le boulevard qui nous entoure que j’ai traversé face à l’immeuble rose d’un laboratoire d’analyses, cherchant une route vers l’ouest en longeant deux côtés d’une placette au coin de laquelle était planté, simple et sans destination apparente, un petit bâtiment carré sous quatre pentes de tuiles un peu comme un abri de jardin élégant qui jurait avec le vide cimenté qu’il gardait, avant de descendre sous une grande esplanade au milieu de laquelle s’élançait une grande statue blanche du dix neuvième siècle | République, Nation ou je ne sais quoi | trouvant enfin une petite route qui s’écartait dans la bonne direction sous un mur de soutènement et un glacis planté d’arbres adolescents. La route frappée de soleil avançait vide de tous passants à cette heure entre des jardins aux grilles envahies de verdure et de buissons fleuris sur la gauche et un petit jardin public puis une école maternelle en vacances sur la droite avant des petits immeubles des années cinquante que leur simplicité et les arbres avaient protégés de la déchéance. C’était plutôt aimable et très alangui dans l’été.

Quant au sud mieux vaudrait s’attarder sur le marché animé installé devant le beau bâtiment qui abrite le Syndicat d’initiative plutôt que de s’enfuir hors de la ville par la route qui s’en va vers le sud et, après avoir été accompagnée un temps par des rangées de ces maisons des villes d’ici, aux façades lisses aux belles proportions sans histoire | quelques unes percées de larges ouvertures sous arcades pour laisser passer les charrettes |, s’enfonce dans la zone des plateformes commerciales, ateliers, bureaux et petites usines jusqu’à la prochaine bourgade.

A propos de Brigitte Célérier

une des légendes du blog au quotidien, nous sommes très honorés de sa présence ici – à suivre notamment, dans sa ville d'Avignon, au moment du festival... voir son blog, s'abonner, commenter : Paumée.

12 commentaires à propos de “#été2023 #13 | une lettre de Bertrand”

  1. J’aime bien le ton un peu ironique de cette lettre qui est loin de donner envie de visiter cette bourgade en poing troué…flanqué de remparts qui ont fait sécession. La description est pourtant soignée, presque obsessionnelle… comme un inventaire rédigé par quelqu’un d’un peu désoeuvré mais très serviable. A-t-il vraiment envie de voir sa destinataire, débarquer au milieu des « arbres adolescents » et de ces « façades lisses aux belles proportions sans histoire », ce Bertrand ? Vous nous direz ?

  2. Ah ces descriptions si précises ! quel plaisir de traverser le boulevard face à l’immeuble rose d’un laboratoire d’analyses, cherchant une route vers l’ouest en longeant deux côtés d’une placette au coin de laquelle était planté, simple et sans destination apparente, un petit bâtiment carré sous quatre pentes de tuiles un peu comme un abri de jardin élégant. La beauté aussi est documentaire.