#été2023 #15 | une vague envie de départ

La ville lui était un vêtement familier et bienveillant, qui l’avait accueillie, lui avait donné un rôle, où elle s’était coulée, s’éveillait avec la lumière qui montait le matin, s’infiltrait par le cadre relevé des persiennes entrouvertes, coulait sur les tomettes jusqu’à son lit. Elle posait un pied sur le carrelage encore frais mais dont le rose ensoleillé parlait de tendresse sous la caresse du rayon de jour. Elle s’installait dans le confort d’un programme presque immuable, avec le sourire des quelques surprises ou fantaisies décidées qui viendrait lui ajouter de la vie.

Quand elle montait le soir jusqu’à son petit logement au dessus des salles, poussait les persiennes pour laisser entrer le début de fraicheur et se penchait pour voir, un peu plus bas dans la rue, le soleil qui ne pouvait mourir en gloire dans l’étroitesse du ciel apparent teinter légèrement de rose la coupole de l’église, elle souriait en pensant qu’elle avait presque oublié toute sa vie d’avant ; elle entrait dans la sérénité de la nuit et se nourrissait de l’effacement du camaïeu pastel des façades, des roses grisés des dalles, du trait un peu plus sombre que dessinait le caniveau central.

Elle se pensait partie de ce monde clos sur son passé et sur la persistance de la richesse terrienne que lui apportait le territoire hors les murs qui, disparus, restaient bien présents dans le dessin des rues et l’attitude des habitants qui, même les plus modestes, avait, inconsciemment en eux un peu de la carrure aisée des négociants et propriétaires.

Pourtant lui venait des échos du dehors, plus lointain, par la musique, une certaine prétention à l’élégance des silhouettes, les livres, les galeries, les réceptions juste un peu trop appliquées dans leur civilité pour être l’écho de celles aux marges desquelles elle avait été autrefois, là-bas et montait parfois un vague désir de casser le charme et de s’en aller, un temps, au devant d’une autre vie. Elle suivait la rue qui descendait vers le sud sous les rectangles de tissus peints par des artistes locaux ou élèves accrochés de place en place entre les façades, elle débouchait sur la première des places qui s’articulaient à la pointe de l’ancienne forme de la cité, passait devant les grands bâtiments modernes ou de cette époque ancienne que les historiens disaient moderne et qui est maintenant classique trônant dans l’espace devant des degrés, des parterres ou des boulevards, s’enfonçait face à l’imposante bibliothèque entre des maisons plus larges et simples que celles de la ville, mêlées à quelques petits immeubles soignés et sans intérêt depuis leur naissance, tournait dans une rue qui se défaisait, immeubles et maisons s’espaçant, laissait tomber son appartenance, souriait à la verdure qui débordait au dessus des grilles, à l’ocre et au rose obligatoires des balcons, aux arbres trop jeunes et finissait par déboucher face au petit jouet blanc encore presque tout neuf qui était la gare reconstruite lorsqu’après des dizaines d’années d’attente la ligne vers l’au-delà avait été rouverte.

A propos de Brigitte Célérier

une des légendes du blog au quotidien, nous sommes très honorés de sa présence ici – à suivre notamment, dans sa ville d'Avignon, au moment du festival... voir son blog, s'abonner, commenter : Paumée.

18 commentaires à propos de “#été2023 #15 | une vague envie de départ”

  1. ça donnerait presque l’envie de pleurer comme quelque chose de tellement présent et qui se retire aussi ( le rose, la lumière, l’oubli ) Merci

  2. on se glisse dans ton rythme, et on glisse entre tes mots et à travers la ville
    un voyage hors du temps vers l’ouverture de quelque chose.. pourtant une forte sensation de passé nous poursuit tout au long de la lecture
    merci pour nous livrer ces lignes

  3. « elle souriait en pensant qu’elle avait presque oublié toute sa vie d’avant ; elle entrait dans la sérénité de la nuit et se nourrissait de l’effacement du camaïeu pastel des façades, des roses grisés des dalles, du trait un peu plus sombre que dessinait le caniveau central. »
    Ce texte mériterait de faire partie d’un livre de vie où le personnage se contente de laisser la lumière des visages supplanter celle intermittente des façades qui délimitent des destins ordinaires dont « la gloire est ici » (pour paragrapher le grand poète chinois François Cheng). A quand ce livre de vos instants tous réunis , chère Christine ?

  4. Je ne la connais pas encore votre Christine, je veux dire que je ne l’ai pas encore lue attentivement, mais vous semblez montrer sa direction. J’essaie de garder quelques minutes par jour pour mes lectures sur Tiers Livre en sachant que c’est un continent devenu immense. Je sens la prégnance de la tentation communautaire et je la comprends puisqu’elle aide à creuser plus en audace et en confiance,la ligne de fond et de fuite pour chaque écriture. L’amitié peut en effet surgir en dessus. lI existe aussi des amitiés d’écriture virtuelles qui sont les bons effets du , web et qui annulent les distances géographiques. Les cultiver demande de l’énergie et du temps.Nos cercles d’amitié sont concentriques et vibratoires, il faut parfois un petit lancer de caillou dans l’eau des mots pour les élargir. Et plouf ! Une lecture de plus… Il m’arrive de me tenir au bord de l’eau sans aucun geste supplémentaire. Aujourd’hui, j’ai lu l’effet de plusieurs petits cailloux familiers. Demain, je ne sais pas ce que je ferai. J’aime bien ne pas savoir…

    • joliment dit … et comme je vous comprends mais vous conseille fortement d’aller lire Christine Jeanney – je crois ne pas être seule à penser que c’est un authentique auteur (le problème est peut être que la prenant en route ce ne sera pas si facile)