#été2023 #04 | la voix

Les enfants devenus adultes vivent en bord de Méditerranée. Les parents sont morts. La fillette-femme et le garçonnet-homme traversent la France du sud au nord en TGV — 5 heures de voyage, juste le temps de lire de se souvenir. Tenir un serment. Revenir un jour dans cette ville du nord, revoir Valentine. Morte trois jours avant leur départ. Maintenir le voyage. Revenir sur l’ancien quartier de l’enfance, laisser remonter les traces enfouies d’un vécu de quelques mois. Pourtant la rue ne se ressemble plus, sans échoppes, des maisons ont disparu, la police urbanistique est passée par là. La fillette-femme croit reconnaître la porte et entendre la voix, une hallucination auditive qui grandit dans sa tête, la voix de Valentine.

Bien loin dans le temps sur le quai, chacun accroché à sa valise et son parapluie, la famille déboussolée, s’en remet au train si long si gris, un monstre civilisé. Le train a du retard, la famille au grand complet accompagne les insensés qui quittent le sud. Longue nuit sommeil agité, bruits absurdes, on se soude les uns aux autres. Poussières du voyage dans les cheveux et les regards, pas de pluie à l’arrivée, déception des deux enfants de ne pas déployer leur parapluie, tentative avortée dans le train, mais grand Dieu cela porte malheur. Avoir atteint la rue ouvrière de la ville du nord en partant du sud en train de nuit, avoir parcouru 1000 km. Les parents et l’ami ouvrent la porte de la maison dans la rue populaire, découvrent les pièces grises. Cœur triste, la soupe de la voisine métamorphose l’émotion. Première rencontre dans le quartier.

Aujourd’hui l’air extérieur n’a pas la même saveur, quelques voitures, vélos et trottinettes sillonnent la rue. Pourtant, mais oui, cette femme qui vient d’ouvrir sa fenêtre est la réplique du visage de Valentine, un visage rond avec de grands yeux en amande verts. Ses cheveux noirs sont attachés en queue de cheval. De l’énergie teintée de mélancolie s’écoule de son regard. La porte s’ouvre, la fillette-femme et le garçonnet-homme sont sans voix.

Humer, humer ce fumet salvateur de la soupe comme celui d’instants de vie qui s’accrochent à la peau se fondent en elle la nourrissent jusqu’au dernier souffle. 

A propos de Huguette Albernhe

Plusieurs années dans l'enseignement et la recherche. Passion pour l'histoire de l'écriture, la littérature . Ai rejoint l'atelier de FB en juin 2018, je reste sur la barque. Je vis actuellement à Nice mais reste très attachée à ma région d'origine, l'Étang de Thau, Sète, Montpellier et les Cévennes.