#été2023 #05 | Hommage

Tes mains ne bougent pas, elles n’arrivent pas à bouger, tes doigts sont vides, ta tête est vide de trop de choses qui passent dans tous les sens sans jamais s’arrêter, plus rien dans les phalanges déposées sur le clavier, plus rien dans la tête, plus rien. Pas un mot. John a emporté tout ce qui vivait en toi. Vide. Ton écran s’obscurcit régulièrement. En haut de la page, le titre, texte hommage John et la date. Tes mains quittent parfois le clavier, pour essuyer ton nez qui coule, tes yeux qui coulent. Tu coules. Tu sombres

Yann a vite écrit son texte, une anecdote, une rigolade de noms d’oiseaux, un soir de pain fromage et restes, un retour de baguage, encore des plumes partout et une odeur tenace. Des noms d’oiseaux. Il écrit qu’il aimait bien les mots, John. Et les plumes aussi, les plumes et les mots, qui vont très bien ensemble. Mais disparu et John sont des mots qui ne vont pas du tout ensemble. Pas du tout. Alors Yann sort. Il a besoin d’air, de grand air, très grand

Eric marche d’un mur à l’autre, demi-tour, l’autre mur, demi-tour, l’autre mur. On ne peut pas faire ça. On n’a juste pas de nouvelles. Disparu c’est pas mort. On peut pas écrire un texte comme ça, comme si John était mort. C’est juste qu’on ne sait pas où il est, qu’on ne le retrouve pas. C’est nous qui ne le retrouvons pas, c’est pas lui qui est mort. Il n’est pas mort, il est disparu, disparu, disparu. Juste disparu. On doit encore attendre. Disparu, pas mort. C’est pas sûr. Il faut encore attendre. On ne sait jamais. Il a juste disparu

Cathy n’y arrive pas. Elle s’énerve. Elle est secrétaire, elle, pas rédactrice. Déjà elle fait la compta sans être comptable. On lui demande toujours de faire des choses qu’elle n’est pas censée faire. Et elle accepte, elle est trop gentille, Cathy, ça retombe toujours sur elle. Elle ne sait pas faire ça, écrire des textes pour mettre sur le site, pour mettre dans le journal. Elle va encore bricoler, ça ne va pas être bien. Là il faut que ce soit bien. Et John, oui, elle le connaissait, oui, ça faisait longtemps qu’elle le connaissait, oui, ils étaient copains, mais elle n’allait pas sur le terrain avec lui comme les autres. Que les autres écrivent un texte, c’est normal, mais elle, pourquoi elle. Elle ne sait pas quoi écrire, Cathy. Elle croit bien qu’elle n’arrive pas encore à y croire, elle a toujours l’impression qu’il regarde derrière son épaule et qu’il va lui dire qu’elle a oublié un s, là troisième mot douzième ligne. Une blague. Même une mauvaise blague. Oui, si ça pouvait être juste une blague, qu’il apparaisse comme ça. Elle lui en voudrait longtemps, du choc, de la peur, du chagrin, de tout. Mais oui, juste une blague

A propos de Juliette Derimay

Juliette Derimay, lit avidement et écrit timidement, tout au bout d’un petit chemin dans la montagne en Savoie. Travaille dans un labo photo de tirages d’art. Construit doucement des liens entre les images des autres et ses propres textes. Entre autres. À retrouver sur son site les enlivreurs.