#gestes&usages #01 I Une certaine pudeur

À cause de la couleur vert émeraude de ses grands yeux elle couvrait son visage de son épaisse chevelure brune réduisant ainsi l’intrusion des regards qu’elle attirait. Une lourde frange abritait front et sourcils. Au moindre rayon de soleil tandis que l’iris déployait une palette de couleurs étonnantes elle sortait de sa poche des lunettes noires qui lui dissimulaient la moitié du visage. Et pour peaufiner sa stratégie d’évitement elle sortait également de cette même poche un tube tout aussi noir, au rouge à lèvre grenat et sans même se regarder dans un miroir en étalait sur les lèvres bien dessinées la couleur dont la fonction était de dévier les regards des yeux vers la bouche. Elle commençait par la lèvre supérieure… posait le bâton de rouge sur l’arc de cupidon… étirait la pâte… veloutée… lentement… jusqu’aux commissures… Elle n’aimait pas tous ces regards qui plongeaient dans ses yeux… elle se sentait devinée… en même temps elle aimait être vue. En tant qu’adolescente il est difficile d’être ignorée. Mais quand elle discutait, elle ne se sentait pas écoutée. Les interlocuteurs semblaient subjugués par la couleur de ses yeux… dans ce pays où tout le monde a les yeux marrons. S’ils regardaient sa bouche peut-être verraient-ils qu’elle bouge… prononce des mots… parle… et peut-être l’écouteraient-ils… enfin elle traçait la lèvre inférieure d’un seul trait parti du coin gauche vers la droite. Le geste était appuyé, lent et précis, le résultat sans bavure. Depuis vingt ans c’était le même geste… le rouge avait foncé flirtant avec la couleur violine… mais il n’y avait plus cette nécessité tendue d’évitement des regards… juste… un besoin de s’habiller et de ne garder la nudité, fût-elle celle de ses lèvres, pour l’intimité.

A propos de Claudine Dozoul

Se balade entre écriture et pratiques artistiques diverses. Animatrice depuis longtemps d'ateliers d'écriture.

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