#gestes&usages #04 – 5 | lacets

Dans le rêve, le lacet se prend dans le mécanisme de l’escalier, je suis happée et broyée. Je ne sais pas à quel âge j’ai appris à lacer mes chaussures, des montantes, à passer l’embout dans l’œillet – un côté puis l’autre en croisant –, avant d’attaquer la boucle au sommet ( et le vélo c’était quand)? Faire ce premier nœud impossible à défaire : Allez tu y es presque recommence ! – il ou elle se tient accroupi(e), guide ma main… Les lacets aux œillets puis le noeud. C’est joli un œillet : lacer, entrelacer ( les œillets de poète du jardin à Oinville, celui obscur et froncé de l’album Zutique, les œillets du bustier de sa robe de scène et les deux lacets noués à la tête du cintre). Des chaussures montantes pour maintenir les chevilles, une faiblesse à gauche et le pied fauche : les courses dans l’escalier lacets délacés; les lacets retrouvés, sous le lit dans la poussière. Son impatience à me laisser lacer : Allez ! Les nœuds à boucles à faire et refaire et, conjointement, le maniement des ciseaux ; aux jeux des découpages et des collages ajouter un bout de lacet: coupez. Lacet sans tête, bout effiloché, il ne passe plus dans le trou de l’œillet même en le mouillant – l’avoir vue lécher le fil avant de le glisser dans le chas de l’aiguille – s’y reprendre à dix fois… Je me souviens de la blouse vichy rose d’en avoir découpé l’ourlet pour en faire un ruban avec un joli nœud à boucles ; je me souviens des lacets coupés à ras à cause du nœud inextricable, ce nœud trop simple impossible à défaire ( la voix gronde) ; je me souviens des chaussures à barrettes vernies noires celles avec l’élastique et le bouton bobine, un élastique très dur à tendre, et la fente n’était pas assez large pour passer le bouton ; je me souviens de la paire de sabots hollandais, du lacet enroulé à mon cou avec le coquillage ; j’ai seize ans : je dis non… Je me souviens qu’il n’aimait que les tennis américains et qu’un jour sa main a tremblé, je me souviens de tous les nœuds qu’il ne pouvait plus faire et de ces mots en pattes de mouches au stylo qui fauchait; je me souviens que dans le rêve il y a peut-être un escalier et qu’il revient sans ses chaussures…

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

6 commentaires à propos de “#gestes&usages #04 – 5 | lacets”

  1. « nœud trop simple impossible à défaire », « nœud inextricable » , « premier nœud impossible à défaire ». Merci Nathalie pour ce profond et riche texte qui commence par le rêve, convoque l’album zutique et livre « je dis non ». Quelle force vous avez pour faire entendre autant d’émotions dans le fleuve qui travaille les mots. Merci.

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