#gestes&usages #07 | Le voile était presque parfait

Le bouquet de jonquilles restait beau, malgré l’eau déjà trouble, quand le silence s’est mis à résonner plus fort. La nuit n’en finissait plus maintenant.

La porte de la chambre. Presser le pas, allonger la foulée. Stop. Une main sur la poitrine, l’autre sur la poignée bouton. En suspension. Écouter, l’oreille contre la porte, l’œil sur le baromètre. Scruter la chambre par le creux de l’oreille, forer l’espace derrière, extraire un son, un souffle. Respiration bloquée, l’œil sur l’aiguille noire, à droite de l’aiguille témoin rouge. À tourner la poignée, sans bruit, à faire claquer le loquet à cause du jeu. À vouloir enfoncer la porte. Il faut ouvrir doucement. La porte grince. À finir d’un coup sec et filer vers le lit. À pas de loup. Tourner l’oreille, l’œil grand ouvert, disperser les ombres la main sur la poitrine, dégager l’espace, la clarté. Un revers de geste, de bruit, un frottement dans le cadre du lit bateau. Un souffle sous un pli.

Le voile était presque parfait. Retirer la couverture sur la bouche, le nez, lentement. Poser une main sur le haut du front, les cheveux soyeux. L’autre sur la poitrine et serrer, serrer le gilet. Le tirer. Et ôter la main du front. De la soie froide.

Le voile était presque parfait.

À devoir pousser, secouer, agiter, arracher. La couverture, les plis, les ombres sur le visage. Tirer gentiment, une main sur la joue froide. L’autre sur la poitrine. À devoir la remonter sur la bouche. À devoir retenir le cri. L’étouffer. Des deux mains sur la bouche bée, sur le nez. Retenir les déformations, les plissements, les excroissances des doigts tremblants sur le visage.

À devoir appeler. À rester muette. À devoir courir chercher quelqu’un, plaquée contre le mur. À vouloir pousser le mur, frapper le mur, le déplier, du sol au plafond, et ouvrir, ouvrir la chambre, ouvrir l’espace à tous les vents, retourner les vents du dedans, à tous les jours, à toutes les nuits. À cette nuit qui n’en finissait pas. Qui n’en finira plus. L’ouvrir, la retourner, à l’envers. L’ouvrir à jamais. La crever.

À falloir respirer. Falloir inspirer, expirer, inspirer, expirer. A minima spirer. Il faut se rapprocher. Il faut se pencher, tendre l’oreille, ouvrir l’œil, les mains sur le visage. En suspension, en arrêt. À tourner autour sans savoir où se poser, quoi toucher. Ce qu’on risque de caresser. Parce qu’il faut caresser. Il faut serrer, embrasser, étreindre. Les gestes du cri. Les gestes de la nuit. De ce qui n’en finit pas.

Ça ne faisait que commencer. Devoir appeler, crier, devoir aller chercher quelqu’un, devoir courir, vite, par la porte grand ouverte, par le mur abattu, par les vents renversés, spirés. Devoir fuir d’ici. Vouloir le rejoindre là-bas. Où ? où ? Dans tous les soleils jusque dans la pleine lune. Soleil de minuit pour commencer. Qui n’en finira plus.

Mais il faut rester là. Il faut agir, il faut secourir. Le couvrir, le défendre contre ce qui est arrivé. Resserrer, enlacer, de mille et un baisers sur le bout des doigts, mille et un gestes sur le bout de la langue, et mille fois plus de mots sur le bout du cri qui n’en finit plus de monter, de se lever, de se dresser et se disperser.

Le voile était presque parfait. Une main sur le haut du front, la soie des cheveux. L’autre sur celle de la joue, à passer sur l’œil le bout du pouce, la pulpe sur le voile de paupière. Deux ou trois fois. Comme si elle devait effacer cette larme qui n’a jamais coulé. À moins que ce ne fût la sienne.

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme un vaisseau fantôme).

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