#gestes&usages #08 | Chambre sans fenêtre

Et puis il y eut cette lumière puissante, aveuglante. Cette lumière qui semblait le traverser, comme s’il en était la source. À mesure qu’une espèce de sensation de fraîcheur intense, glacée, se concentrait dans la gorge, le halo lumineux qui se répandait avait l’air de jaillir de là, de la trachée et des cordes vocales distendues.

Sous la pression, le plafond crevait, les murs cédaient. Tout s’éclaira comme une zone les nuits de pleine lune. Les oscillations du balancier de la pendule, la chute insensible du poids. Les claquements du bois dans le poêle, le bourdonnement du feu qui a pris. Le léger flottement des rideaux sous la montée de la chaleur. L’éclat de la lumière sur les vitres, sur l’étain des bougeoirs et le corps verni des pots jaune paille alignés sur le manteau de la cheminée, un voile de fumée, l’odeur de la cire et du bois mêlés. L’essence de térébenthine du parquet. Quand dehors passe un oiseau, en pépiant. La table laissée en plan comme une nature morte, des miettes sur la table et une tache de vin sur la nappe trouée à carreaux rouges et verts, une frise blanche de chaque côté pour une broderie d’arabesques en rouge et vert. Et toute la lumière se met à vaciller à chaque rafale du vent et tout, autour, semble se contracter, l’espace d’un instant, se détendre, distendre, comme à chaque mouvement du balancier, à chaque pulsation sous la main, le pouls plus fort à mesure qu’on la resserre, le pouls du bout des doigts serrés, ces pouls battant en chœur, plus tactiles quand on relâche un peu la pression, à peine, d’autant plus sensibles que la pulpe des doigts se fait le tympan sur lequel cogne le battement qui accélère, s’emballe, avant de ralentir, de retarder, la main qui s’éternise, telle une main négative sur la paroi avec laquelle elle veut faire corps, dans laquelle elle doit se fondre, en prise directe avec la chair pulsée, le cœur vibré, l’air soufflé, la lumière ravie.

Il aurait fait sombre si quelqu’un était entré. Le loquet aurait claqué et par la porte qui se serait ouverte on aurait aperçu une silhouette au fond de la pièce. Un corps penché au-dessus du lit. Un corps voûté, bossu, qui aurait sursauté et se serait redressé. Avec un grand geste de la main. Réflexe, instinctif, douloureux. Pour une main pendue à son bras, les doigts écartés, comme étranglée, avant de se refermer. Le poing rétracté, en forme de moignon. Un mot, et d’un œil tors lancé en tournant strictement la tête, ce moignon irait se ficher dans la poitrine. D’un coup mat. Peut-être la gorge, ou la bouche et le nez, à la vue de cet œil dans le petit miroir pendu sur la porte de la grosse armoire. Elle venait de s’entrouvrir en craquant, et le petit miroir renvoyait, de la pupille dilatée, la lueur brasillant, clinique, des lieux.

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme un vaisseau fantôme).

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