#P3 | goût du jour

Je suis seule et je veux dans ma bouche
les goûts d’avant –
ce jour-là,

du jambonneau en boîte (envoyé par colis depuis Albi), 
de la salade frisée au vinaigre de noix,
des champignons des haricots vers des pommes de terre en persillade,
des escargots à la bourguignonne les jours de fête, 
des röstis à l’huile des asperges sauvages dans l’omelette,
des endives braisées au sucre dans la casserole en fonte, 
du flan de courgettes (d’après la recette du programme TV), 
des ravioles au fromage (de chez LIDL), 
du roquefort dans du papier alu (depuis trois semaines ou plus), 
de la ratatouille (confite et reconfite) de fin d’été, 
des yaourts à la grecque (avec sucre Saint-Louis), 
des mini cornets de glace au café vanille chocolat, 
des fraises chantilly coulis de framboises, 
des crêpes à la bière ou des oreillettes à la fleur d’oranger, 
des clafoutis de l’été dernier – prêts à décongeler, 
des Cracotte Tic Tac Balisto Petits Louis,
des pruneaux et du son d’avoine pour aider.

alors
après ce jour-là, je ravale ma morve
et tout est trop salé.

aujourd’hui,
je suis (toujours) végétarienne et je sais que :
avant ce jour-là, je mangeais à tous les coups tes tomates farcies à la saucisse de Toulouse,
avant ce jour-là, j’ai toujours répondu oui à « est-ce que je te décongèle un bifteck? »,
avant ce jour-là, je n’ai jamais oser te dire que la vue du sang dans mon assiette me dégoûte,
ce jour-là, j’ai mangé une daube à la provençale chez tes voisins à 12h15,
après ce jour-là, j’ai mangé ta dernière boîte de jambonneau à l’apéro,
après ce jour-là, j’égorgerai mille porcs pour avoir le jus de ta farce dans ma bouche,

alors
je me demande :
est-ce que les végétariens n’ont jamais eu de grand-mère ?

A propos de Charlene M. Rigaud

Quand on me demande ce que je fais dans la vie, je réponds Touriste.