je porte je porte…

…. tourmente secrète des déménagements. C’est bien compliqué. Plus rien à sa place ajustée – l’ordinaire dissolu se trouble. Joue de ruse infinie pour inventer et défaire les places précaires,  repères noyés dans la pénombre hasardeuse d’avant l’oubli – obscurité poussiéreuse et muette des cartons clos. Attente impatiente et brouillonne des meubles, tiroirs, rayonnages, placards, et autres bureaux à monter. Réapparue, grise et lourde, elle m’a attrapé par surprise comme si elle attendait que j’apparaisse au bout de la volée de pointillés de l’escalier en hêtre ; dans cette chambre tout en haut, sur ce bureau encore vierge d’écriture, elle m’a saisi au coin de l’œil comme si depuis son encore et ses toujours elle me guettait sans fin…

La clé et sa tourmente sans ménagement. C’est bien compliqué – l’hanté-ordinaire s’est invité. La clé lourde à ma main d’odeur ferraille m’attend. Échouée sur le plateau de bois miel poussé contre le mur couleur et grains sable, juste dessous le rectangle de ciel nuages collées ailes de suie. Elle m’a saisi. Le jour hameçonne les tours et volutes du temps cloué comme si depuis toujours il reposait enfoui au creux du galbe poli de son anneau. Me regarde de sa densité de vieux métal usé aux mains qui l’ont tenue (fatiguées, impatientes, noueuses, fortes, habiles, inertes) et caressaient nonchalantes distraites ou fébriles sa carapace froide et luisante, luisante et glacée …

Par l’objet choisi tourmenté de ferraille et de gris, piqué de minuscules bourgeons roux, mon temps passe sans jamais tout comprendre des serrures des clés des huis et pertuis de la vie – mon temps raboté – usure lentement survenue de mes traits où s’abreuvent se fondent et se filigranent mes visages chers – évanouis – masque de cire enfin reposé, ou tête de lune méconnaissable échouée au dur de la barque funéraire gris clé, votre solitude intacte de parents déracinés brouille mes châteaux d’enfance lointaine. Je n’ai toujours pas la clé de votre histoire, pendue à jamais au clou de vos années disparues, son anneau aveugle crevé d’une tige métallique ou énucléée d’un doigt de douleur, ce soir le rectangle bleu de nuit broute la lampe sur le bureau bois manguier couleur miel. La clé s’endort, mes yeux fatigués…

Enfant je rêvais d’aimer et d’être aimé en de rudes batailles, de forteresses à portes lourdes barrées de grossières poutres de bois, murailles de pierres et toits d’écailles de dragon, je rêvais la chaîne cliquetante du galérien fouetté au banc de rame dans son lit à barreaux, je rêvais de sueur, de honte, de coups, de larmes et d’oubli, de blessures profondes et humides comme des puits, longues comme des tunnels aux clés tachées de sang, enfouies dans les poches profondes, lâchées derrière les mains croisées dans le dos, je rêvais la douleur sucrée de l’objet perdu de toutes rondes ; je porte je porte la clé de St Georges le renard et l’enfance sont passés

Tourmente bleuie doucement dans son sirop de miel – discrète, c’est bien compliqué – la clé m’a choppé du coin de l’œil – perdue sur la table entre mur sable et bois manguier ; sous le ciel noir découpé le rectangle d’une fenêtre au loin jaunit sa lampe. La clé forge ses secrets derrière son museau fouine-mystère. La clé des songes – écharde de silence gris métal foisonnant d’étoiles mortes minuscules et rousses, lourde et pèse-tourment – sécrète secrète et me ment démesuramant.

6 commentaires à propos de “je porte je porte…”

  1. Quel magnifique objet …. Merci pour ce texte à échos. J’aime beaucoup les adjectifs de mains dans la parenthèse, qui ouvrent encore une autre dimension.

    • Merci beaucoup de votre commentaire ! Je suis en train de rattraper un grand retard d’écriture mais je vais très vite me plonger dans la lecture et ne manquerai pas de vous rendre visite !

  2. Bel objet convoquant tant d’images et s’inscrivant dans tous les temps de vie. J’aime les passages présentés avec tirets, ça fluidifie, ça réunit bien toutes les échappées où emmène la clé. Merci

  3. la Bretagne te va bien, le vent sans doute qui éclaircit les pensées et les phrases.
    La clé de St Georges, je l’aurait mise dès le titre « je porte, je porte la clé de St Georges »…sinon on croit que tu portes des cartons…(mais de quoi je me mêle…)

    • pas faux … vais sûrement risquer des V2 dit-il alors qu’il court après le temps pour les V1 ! J’ai toujours du mal de toute façon à trouver des titres ! proposition d’écriture « faire un texte uniquement avec des titres » !