#L13 | l’homme du train

version 1 avec notes

Elle regarde aux entours(1) de son siège, un peu de biais, sans trop en avoir l’air(2), compte les silhouettes, se demande comment ils font pour vivre, pour affronter les pensées qui naissent et meurent entre le lever et le coucher du soleil (4). Quels secrets ont-ils pu mettre à jour pour tenir, quels chemins de hasard emprunter pour colorer un peu la vie, quelles rencontres avec d’autres oiseaux égarés(5) sur le bord des routes ont fait lever une petite flamme en eux… Cet homme qui occupe le fauteuil juste de l’autre côté du passage entre les sièges(6), avec ses habits sombres et pourtant souples, des cheveux poivre et sel, des mains aux veines saillantes et la tête un peu dans les nuages lui fait penser à un arbre, quelqu’un contre lequel on pourrait s’appuyer et se reposer un instant auprès de lui(8). Son regard semble flottant mais elle ne le voit que de côté, ne peut donc en saisir la profondeur,(10) et y lire ce qui l’embarque(9). il feuillette un livre, c’est plutôt de bon augure. Mais que peut-on apprendre de quelqu’un juste en l’observant d’un regard oblique. (11) Faire émerger d’un corps assis, un livre entre les mains, une esquisse de vie. Dans la verticalité de ses ombres.(12) À le regarder comme un feu dans une cheminée qui a déjà bien pris de l’ampleur, elle voit les braises qui grésillent et le souffle de chaleur, une sensation de bien-être, une respiration(13). Elle se demande ce que cherche cet homme au sein même de sa lecture ; un simple passe-temps, un plaisir, une réparation(14)…

Notes prises à la première réécriture:

1/Entours n’est peut-être pas le mot le plus approprié

2/Se mettre dans la position réelle de celui qi regarde ainsi : comment sont les yeux, que font les mains, la tête est-elle droite ou légèrement penchée

3/ Combien peut-elle réellement en voir dans cette position, le buste se tourne-t-il et pourquoi fait-elle cela

4/C’est plutôt entre leur lever et leur coucher . Le soleil ne change rien au processus

5/Oiseaux n’est pas le bon terme ; êtres, silhouettes…

6/Dire la travée ou chercher un mot plus court ; il y a quand même cette courte distance qui importe, distance mais pas que…

7/ Qu’est-ce que j’entends par souple : il est à l’aise dedans, ne semble pas étriqué ou gêné ; il semble séduisant et ça je ne l’ai pas dit, il me plait sans doute et me fait penser à quelqu’un sans que je sache qui…

8/ Mal dit, développer

9/ Lourd manque de fluidité

10/ Profondeur imaginée, supposée, désirée.

11/ de profil

12/ j’aime bien

13/ Cette phrase comme une non évidence quelque chose à revoir ou supprimer

14/ Il n’y a que la réparation en fait qui l’intéresse

Codicille : premier paragraphe du chapitre 3. J’ai sélectionné ce passage car j’éprouve de la difficulté à décrire des personnages. Et celui-ci j’y tiens même s’il ne réapparait pas dans la suite du récit ; il me semble important et mentalement je viens enfin de trouver à qui il ressemble : non un personnage réel mais un personnage que j’ai déjà écrit dans un texte plus ancien ( 2014 ou 2015) qui se déroulait à Venise. Il se tient dans un costume sombre sur les bords d’un quai (il avait déjà les tempes grisonnantes). Voilà j’en suis sûre maintenant , c’est le même personnage que celui qui, sorti d’une librairie vénitienne qui n’existe plus, où il vient d’acheter Carnet vénitien de Liliana Magrini, s’est assis au bord d’un canal, près du ponte Cavallo, lit quelques lignes du livre puis sort de son sac un carnet noir et écrit quelques mots qui surgissent suite à la lecture qu’il vient de faire : des mots qui étreignent comme une crue.

Version 2:

Elle regarde à l’entour de son siège, un peu de biais, l’air de rien, tourne légèrement la tête, se lève pour prendre une pochette dans son sac rangé dans le porte-bagage, en profite pour d’un rapide coup d’œil compter les passagers de son champ de vision, elle en dénombre neuf ou dix. Elle se pose toujours la même question de savoir comment ces personnes-là se débrouillent pour vivre, affronter les pensées qui naissent et meurent entre leur lever et leur coucher. Dans quels secrets sont-ils englués, quels chemins de hasard ont-ils emprunté pour s’extraire des filets qui retiennent captifs et des pièges que la vie réserve, quelles rencontres ont pu faire émerger en eux une petite flamme… Cet homme qui occupe le fauteuil juste de l’autre côté de la travée, avec ses vêtements sombres, élégants, des cheveux poivre et sel, des mains aux veines saillantes et la tête un peu dans les nuages lui fait penser à un arbre, contre lequel s’appuyer ou se reposer un instant auprès de lui. Quelqu’un de séduisant. Son regard semble flottant, mais elle ne le voit que de profil, ne peut donc en connaître la profondeur, ni se laisser embarquer ou happer. Il feuillette un livre, c’est plutôt de bon augure. Mais elle sait bien que l’on ne peut rien savoir de l’autre en l’observant seulement d’un regard volé. C’est juste faire s’envoler son imaginaire, croire à un possible, tracer une esquisse d’une vie, dresser la verticalité d’une ombre. Elle s’interroge aussi sur ce que cherche cet homme au sein de la lecture : un passe-temps, un plaisir, une réparation…Elle se souvient soudain d’une silhouette similaire aperçue au bord d’un canal à Venise, il y a pas loin de dix ans peut-être, cette tenue sombre et le port de tête étaient semblables, il avait un livre entre les mains, et elle se souvient l’avoir inséré comme personnage dans une nouvelle écrite après son retour. Un homme croisé à Venise, reprenant vie dans un récit, puis réapparaissant quelques années plus tard dans un train et suscitant toujours autant d’intérêt. Il y avait de quoi se poser des questions, ou simplement en sourire.

Version 3:

Le regard, un peu de biais, l’air de rien, balaye l’entour de son siège. Elle se lève pour récupérer une pochette dans son sac coincé dans le porte-bagage au-dessus des têtes des passagers, et en profite pour, d’un rapide coup d’œil avoir une vision des voyageurs installés dans le compartiment ; elle en dénombre une dizaine. C’est toujours la même question qui se pose de savoir comment ces personnes-là se débrouillent pour vivre, affronter les pensées qui les traversent entre leur lever et leur coucher. Dans quels secrets sont-ils englués, quels chemins de hasard leur a-t-il fallu emprunter pour s’extraire des filets de la vie qui retiennent captifs, des pièges qui leur sont réservés, et des rencontres qui ont pu faire émerger en eux une petite flamme… Cet homme qui occupe le fauteuil juste de l’autre côté de la travée, avec ses vêtements sombres, élégants, des cheveux poivre et sel, des mains aux veines saillantes et l’esprit un peu lointain, lui fait songer à un arbre, contre lequel s’appuyer ou se reposer un instant auprès de lui. Quelqu’un de séduisant. Son regard semble flottant, mais elle ne le voit que de profil, ne peut donc en capter la profondeur, ni se laisser embarquer ou happer. Il feuillette un livre, c’est plutôt de bon augure. Mais elle sait bien que l’on ne peut rien savoir de l’autre en l’observant seulement d’un regard dérobé. Il lui est juste nécessaire de laisser s’envoler son imaginaire, croire à un possible, tracer une esquisse de vie, dresser la verticalité d’une ombre. Que cherche cet homme au sein de la lecture : un passe-temps, un plaisir, une évasion, une réparation…Soudain, une silhouette similaire à celle-ci vient se substituer à la réalité : presque dix ans déjà, et un homme à la tenue sombre et le port de tête noble, un livre entre les mains, sortait d’une librairie à Venise et allait s’asseoir au bord d’un canal pour feuilleter le livre acheté . Cet homme, elle l’avait inséré dans un récit écrit quelques temps après son séjour, en avait fait un personnage de fiction, lui avait donné vie, sans rien connaître d’autre que sa silhouette élégante. Un homme croisé dans une ruelle de Venise, avec une deuxième vie de fiction et qui réapparaît quelques années plus tard dans un train et suscitant toujours autant d’intérêt. Il y a de quoi se poser des questions, ou tout simplement en sourire.

Codicille : Texte plus long qui donne une place plus dense à ce personnage qui n’est pas censé revenir dans le récit. La réécriture me fait découvrir la récurrence de cet homme que je n’avais pas remarqué au premier texte. Peut-être voir derrière les mots écrits, il y a quelques mois, autre chose qui se profile. Me demande si je retentais encore cet exercice dans quelques temps si ce texte continuerait à enfler…

A propos de Solange Vissac

Entre campagne et ville, entre deux livres où se perdre, entre des textes qui s'écrivent et des photos qui se capturent... toujours un peu cachée... me dévoilant un peu sur mon blog jardin d'ombres.