La boîte en fer blanc

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Une boîte en fer blanc, une marque en relief LAMY. Intérieur gris anthracite , deux réceptacles. Une boîte voyageuse- elle vient d’Autriche- offerte pour un anniversaire, – elle est longtemps restée vide, pas de locataire adéquat-. Elle abrite maintenant deux stylos uniques fabriqués par mon fils, un blanc à taches grises en résine et l’autre en bois d’olivier verni, la bague du milieu signe l’artisan, elle est devenue cassette, écrin. Elle est sur le bureau  la plupart du temps, dans le sac les autres moments, écriture enfermée, de plein air, vagabonde, surtout des pensées, des fragments de poèmes, des observations, les carnets passent, les stylos restent et la boîte en fer blanc. Aujourd’hui elle est fermée et mystérieuse, une boîte de Pandore.

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Le vent s’est levé. Ouverture, fermeture. Bureau ou sac ? Bureau, la tête de punk en bois et crayons de couleurs hoche la tête en rythme sur le dernier Bowie, l’ultime, couverture blanche avec cette étoile noire au milieu. Un léger clic. Les deux stylos d’humeur changeante, ce sera le bois d’olivier, pour le vent et le bruissements des feuilles, d’autres bruissements d’Aulnes et de Charmes le long du Danube. Il m’avait offert cette boîte en aurevoir de cette rencontre surprenante, avec une carte de visite vierge et un seul mot « Schriftsteller ». Je l’avais remisée, mes stylos – d’autres, anonymes- étaient enfermés dans une trousse souple rouge, un autre cadeau-. J’ai perdu la trousse rouge et réouvert la boîte en fer avec cet unique message, longtemps après. Résurgence, période de l’écriture et de la scène, la trousse/passer marcher violence/ne plus rien faire/ne plus rien dire/ caresses d’un instant/ automatique/ période de l’écriture et de l’urgence/de la nécessité, la boîte en fer blanc/ tu dis vagues/et je m’évade/ sans horizons/sans rien/nu de sel/nu d’entraves/ sans horizons/sans rien. Crissements légers sur la feuille blanche qui colle un peu sous cette chaleur d’été, le carnet bleu transpire lui aussi, malgré le ventilateur qui ronronne. Parfum de sueur, d’effluves de mer, léger goût de sel sur la peau, une caresse apprivoisée sur le renflement du stylo, celui-là ne se mordille pas, le bois est trop dur. Digression de l’étrange, une patte de crabe contre ma peau craquelée et des mots qui sautent, s’emmêlent, traces dansantes sur une page vierge, les langages du corps. Ripe, râpe et ça dérape/ clichés/photos/ arrêt sur image/ flou /ralenti/ le mur du rien/ ruelles surexposées/ couleurs blanches/ neutres/ lumières/ spots/ projecteurs/ poses/ pauses.

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Le Relief LAMY, l’ami ? une boîte en fer blanc, un peu ternie, légèrement rouillée sur les bords arrondis. Une amitié éphémère le long du Danube. Les deux stylos fétiches un cadeau filiale. Important dans le message. Continue. Continue. A faire valser les mots du rock au cadre du livre , une même histoire. Les phrases hurlent autant. [ je le revois sur le sable, c’est une photo lointaine, la mer est absente de cette plage] Le clic d’ouverture de la boîte de Pandore, le clic d’ouverture de l’écriture. Des mots hésitants, un peu perdus et la route se trace avec ses sinuosités, ses retours stupéfiants, les gouffres  brusques et l’arrêt.[ je bouge autour de la page, je danse parfois, une danse indienne, et je me remets face à face, miroir menteur, j’ai toujours aimé les menteurs ou les romantiques indécrottables.]  Continue, continue. La boîte vagabonde : voyageur 1, voyageur 2, Terre blanche 1, Terre blanche 2, Les Choses 1, les Choses 2, poèmes doubles en marchant, la mer et le sel, les buissons, la terre lourde et grasse, les ravins, les dragons, les sources[ Clic clac, c’est le bruit de la boîte vagabonde, clic tu ouvres, tu sors le stylo, le carnet est prêt, tu notes, tu remets le stylo dans l’écrin, clac tu fermes la boîte, une marche clic clac clic clac clic clac, automatique]La bande son des mots, électrique la plupart du temps, et des voix d’opéra, requiem et pogos, mélanges explosifs pour la boîte sédentaire : Clic, les personnages se barrent dans tous les sens et dans tous leurs sens, ils aiment et se tuent d’aimer tant, ils s’épient, se ruent, rient comme des fous, la vie comme une tranche de pastèque bien mûre[ les moments de soleil, le temps de repos ; la tête s’éteint, être nu sur les rochers ocres, des boules d’algues  se roule dans la houle, poissons de frime place au corps] Ripe râpe et ça dérape/ clichés/photos/ arrêt sur image/ flou /ralenti/ souvenirs ou remords ?  couleurs vives/ les tableaux qui me font face, une peinture d’un ailleurs/ des vivants et des morts/ entremêlés/ qui et qui ? [je me concentre sur ce que je touche, j’essaie une méthode, mais je suis volatile, c’est peut-être ça ma méthode, être volatile, d’aller d’une pensée, d’un fragment, d’un poème à d’autres mondes multiples, un va et vient continuel] Clape de fin et le rideau tombe. [je reste là sur la terre du ciel, balbutiant quelques mots contre le mur de chênes, un jeune lézard se promène, un jeune lézard, il sort la langue et s’approche, je tente de l’apprivoiser, mais le lézard n’est pas un renard, il ne parle pas il tire la langue] Clac, la boîte est rangée.

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On ne peut tenir longtemps la boîte sans se noircir légèrement le bout des doigts, le métal transpire, il n’est lisse qu’en apparence, à y regarder de plus près, on peut voir des aspérités, tellement fines qu’elles ressemblent à une illusion d’optique. Le couvercle et les côtés, c’est ce qu’on voit immédiatement, le dessous reste secret, on aimerait qu’il soit d’une autre matière, quelque chose d’organique, une paume de main. Un dessous de boîte en paume de main, à caresser, à lire les lignes, peut-être de fuite, peut-être de retour. L’envers du décor, ce qu’on ne voit pas mais qui fait tenir le tout. L’envers de la boîte ressemble au couvercle, à une différence près, quatre minuscules tétons, au quatre coins, pour tenir l’objet éloigné des surfaces qui pourraient le pervertir, pour lui permettre aussi de glisser plus facilement, de danser même. La prendre à pleine main, la droite, pas l’autre rebelle, et se taper sur le front pour tester sa solidité, méthode idiote mais efficace, une bosse après, on peut conclure qu’elle est quasiment indestructible, sauf par le feu, mais qui mettrait le feu à une boîte en fer qui renferme des stylos et qui vient d’Autriche ? On lui donne ce silence de chose et on ne l’entend pas crisser quand elle se déplace, peut-être la nuit, peut-être dès qu’on a le dos tourné, toujours en catimini, une fenêtre aveugle sur le vide.

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“This is not a Love Song” le chant ironique de Johnny Rotten de PIL, la rencontre d’Autriche et le cadeau d’avenir, un avenir sans indications, seulement ce mot pour la suite. Pas d’histoire d’amour, un histoire de rencontre sur les berges du Danube, bleu pour le coup dans cette fin d’été. Premier vagabondage de la boîte de métal, voyage en soute et en valise. Elle n’avait pas d’usage précis à part de partager une étagère avec deux statues chinoises – le père et le fils-, boîte à sous, boîte à musique, boîte à secrets, boîte à aiguilles- poupées vaudou- boîte à gifles- violence sous-jacente et constante- boîte à capotes-sexe rencontres désirs-boîte à timbres parfois, une boîte brocante. Les mots étaient ailleurs, dans la trousse rouge avec ses stylos éphémères, mais toujours de l’encre noire/ je le revois sur la plage/au milieu des croix des soldats morts/seul/vide/je le revois sur les murs/fixé/les yeux perdus dans un lointain silence/ les cris rauques qu’il poussait chaque nuit/ses sursauts/ ses sueurs/ je les lui prenait/ je les lui volait/un soir il est parti à la dérive/livide/il m’a dit les maîtres du temps ont disparu/ voici le temps des chefs/sortie théâtrale/ sortie immobile/ il était hors monde simplement/ Hors monde dernière chanson de la trousse rouge, perdue, oubliée. La boîte de métal est là, toujours, grisâtre, couleur du fer, sur le couvercle une marque en relief LAMY, un autre message, l’ami. Elle est presque plate, à chaque extrémité les coins arrondis sont légèrement rouillés quand on la soulève, elle ne pèse que son poids de vide. Le dessous, l’envers du décor, ressemble au couvercle sans la marque mais avec quatre petits tétons discrets qui l’empêche de rayer les surfaces sur lesquelles elle repose, ou lui permette de glisser, de danser. Elle n’a pas d’odeur particulière ou alors celle du métal, un peu acide, quand on la tient longtemps dans la main , on se noircit un peu les doigts, la matière transpire. Clic ouverture, bruit à peine perceptible, clac fermeture même discrétion. L’intérieur est gris foncé avec deux niches oblongues, pour les stylos, ceux fabriqués par le fils, l’un en résine blanche et noire et l’autre en bois d’olivier verni. Trimballée dans le sac à dos clic ouverture, notes, pensées, clac fermeture, marche, marche, marche, clic clac clic clac rythme dansant jusqu’au sommet, parfum de sueur, léger goût de sel sur la peau, les doigts qui glissent, la main muette à cinq doigts rebelles, une main d’attente. Clic, clac. La boîte sédentaire, sur le bureau, à côté du punk en bois noir à la crête de crayons de couleurs, grignote la tête, ça tape, ça vrille , ça bruisse, grignote la tête, ça dérape, l’acier et les chrysanthèmes, le soleil et l’acier, Mishima en embuscade, nous aurons des matins d’ours gris, gris, couleur de la boîte LAMY. « This is not a love song, this not a love song. »

A propos de Guy Torrens

Guy Torrens est né en 1952 à Alger. Après des études de philosophie, il se tourne vers le métier d’éducateur auprès de jeunes délinquants. Il anime des ateliers d‘écriture créative à Marseille où il réside. L’écriture et la scène : Chanteur parolier de trois groupes de rock punk ( Fin de série, Dirty Bitch, L.V.3.S) de 1985 à 1995. Tournées principalement en Allemagne, Pologne, République Tchèque, Belgique. Das Klub. Scène vide. La nuit a digéré les derniers spectateurs. Claquements répétitifs d’un soupirail mal fermé. Rythmique minimaliste. « Port de l’angoisse, je bois tes mots, pas tes lèvres. » Les derniers mots flottent encore. Martèlement des pieds, jets de bière, éjaculations spectaculaires. L’écriture et la nécessité : Après la mort de son compagnon qui a partagé sa vie pendant 25 ans, il se consacre entièrement à l’écriture. Poèmes, romans, nouvelles, pièces de théâtre. C’est le bruit du moteur. La mort ne fait pas de bruit. Une fuite sidérée. Celle des rêves. Sombre était le jour, sombre était la nuit. On vivait dans cette opacité, propre à rendre fou, n’importe quel homme normalement constitué ; Le message arriva le matin du 2 janvier. Un cri d’année nouvelle. Anonyme. « La vie n’est qu’un sillon, celui qu’on ne peut tracer, les nuits d’errances sont des meurtres. »

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