L’escalier

Large rue du centre-ville entre des commerces, ça bouchonne tous les samedis dans les odeurs d’échappement.

Changement de municipalité. Interdite aux voitures. On va piétonniser. Et d’abord rénover tous les réseaux enterrés. Mais d’abord : chantier d’archéologie préventive.

Une fois la chappe de béton levée, ça s’est mis à creuser, à gratter. Les fondations d’anciennes maisons. Les restes d’un ancien couvent. Les fosses d’antiques sépultures. Et un jour, un escalier s’est ouvert. Quatre marches qui s’enfonçaient dans la terre. Jusqu’où. Le badge sur le tee-shirt, on enferme dans des sachets des os, un morceau de métal, on répond aux questions des passants. Mais qui dira jusqu’où.

A la fin de l’été, le chantier est refermé, les trous sont rebouchés, la rue sera pavée. Un à un, sur le sable tassé, les pavés ajustés. L’escalier refermé. Celui qui descendait. Jusqu’où.

Il rejoint un couloir, obscur, profond, il rejoint dans le noir, sur l’autre rive du fleuve, dans la vieille rue d’avant, la crypte Saint-Laurent. Le cimetière exhumé, en plein air, dans le jardin du musée, celui où défilent des visiteurs un peu blasés.  Celui où, en plein soleil, tu vois des corps tronqués. Il y a ceux dans leur fosse bien rangés, le crâne un peu cassé. Et il y a ceux que la coupe a tranchés. De profil tu vois juste, aux racines mêlées, des vertèbres dans la terre se dessiner. La terre, semi-ouverte. Jusqu’où.

Au-dessus de la verrière, le soleil de mai. Une maison, un rosier, des volets entr’ouverts, et un garçon avec son grand-père.

Il rejoint l’en-delà des murs. Comment ça fraye dans la pierre et dans la terre, tu ne sais pas. Tu vois juste, quand le fleuve est bas, ces portes rectangulaires, au ras de l’eau, léchées par les vagues, et quand le fleuve monte, à moitié inondées, puis complètement noyées. Pour remonter sur la jetée, d’autres escaliers. Un printemps tu t’es demandée, quand l’eau avait monté, les escaliers, dans quel sens on les prenait.

Il rejoint d’autres échappées. Sous l’autre musée, une allée voûtée ; un bras d’eau, roule entre deux quais ; tu vois juste où il vient verser ; tu demandes ce qu’il a passé, c’est comme un égout qui viendrait couler ; combien ont marché en longeant ses quais.

Et le baptistère, encore un musée. Il est sous la terre du vieil évêché. Escaliers de pierre, balustres bombés, le velours et l’or, les siècles lustrés. Mais quand on descend, chemins grillagés, murailles de la ville, pleines d’humidité. Là haut roule un tram, on entend vibrer. Et on est sous terre, rien n’est encore né. On voit une cuve dans la pierre taillée. Et sur tous les mur l’eau qui a suinté.

Tu marches en rêvant comme hypnotisée.