#P5 – Opacité des désolations intérieures

En quelques heures, mon océan intérieur se retirait complètement. Je voyais tous les sables brillants se dérober et s’engloutir aspirés par des bancs de vase immenses. Des reliefs inconnus, coupants, cuisants, apparaissaient sous l’effet de ce coefficient de marée maximum. Je courais à la catastrophe.

Dans ce petit cabinet noir insignifiant à l’intérieur de mon corps mutilé de toute perception sensible, je tombe dans un vertige sans fin, je plonge indéfiniment. Dans l’obscurité pas de mou, pas un os ne m’arrête, je ne frotte aucun organe, la peau qui me forme n’a pas de peau, rien ne me constitue, ni graisse, ni sang, ni sève, du noir. Et rien, je ne sens rien, ni battements, pas de nerfs, du vide, sans froid ni chaud, aucune force, pas de muscle, du sombre, presque rien, aucun courant, pas de fluide, ni d’humeur, pas d’hémorragie, rien ne coule, pas de miasmes, ni de gaz, ni de fèces, rien de putride, pas de crachats, la vacuité, aucun craquements, pas de grincements, ni de frottements, ni cartilages, ni bavardages, pas de vocalises, aucun écho, rien, rien sur les côtés, rien devant, pas de vertèbres ni de côtes, aucun membres, ni membranes, ni interstices, ni plèvre, ni glandes, pas la moindre fibre, néant. Je n’en sors pas. Rien ne sort. Le dehors n’existe plus. Tous les paysages se sont évanouis. Je me vertige. En moi je me tombe, et encore je me ptôse, et encore je me chute et encore. Comme un château de carte, tout un échafaudage s’écroule. Un maillon rompt, une poulie cède, un ressort saute, une goupille s’éjecte, un contre-poids s’affaisse; et tout le mécanisme se disloque. Ma tête sur l’échafaud. Ma tête roule. Ma tête est sur le sol à mes pieds, des pieds osseux aux malléoles visibles, et gonflées par des veines qui pulsent. Une paire de pieds au milieu ma tête effacée, engourdie, endolorie, bleuie. À l’intérieur tout est mat sans moucharabieh. Rien ne perce, tout est éteint, les rideaux sont fermés. Déréliction, je gis au fond. Le vide de la perte de moi, j’écope. Rien, une fluctuation du vide sans spectre. Pas le moindre arc électrique pour rallumer l’ordonnateur. Tout se fige sans se dissoudre. Le reflux ne se répand pas. Je tapisse les parois de l’enveloppe évidée. Je suis cette nuit sans étoiles. Tous les jours je sombre. Je noircis. Pas la moindre lueur.

A propos de Michael Saludo

Vis, écris et travaille à Angoulême. J'anime des ateliers d'écriture en lien avec le cinéma.

7 commentaires à propos de “#P5 – Opacité des désolations intérieures”

  1. Ton (votre?) texte résonne beaucoup avec le mien, c’est une chouette sensation. Mais j’aime beaucoup ici l’image d’un puits qui m’est venue à la lecture.

    • Merci d’être passée me lire. Je n’avais pas imaginé un puits ; c’est très juste!

  2. « Je me vertige. » : j’adore !

    belle description du sentiment de délitement de soi…

  3. « je me vertige » c’est plus qu’une trouvaille. Touché particulièrement par la déclinaison du « rien » au rythme juste.