#P5 Tout arrêt semble impossible

des médicaments Pain Killers par Kurtis Garbutt CC-BY-SA 2.0 Source : Flickr
Pain Killers par Kurtis Garbutt CC-BY-SA 2.0 Source : Flickr

Entre mes nerfs, le mensonge éhonté de la peur se propage, car je dois, il est vital et nécessaire de me souvenir de demain. L’impératif brouille les certitudes, les pensées se broient et se désagrègent entre elles. Je me demande souvent – trop peut-être – si…

…si je n’ai pas oublié de. Si je n’ai pas oublié de la porte et de la fenêtre, du gaz et de l’électricité, du courrier et des courriels, de la radio et de la télé, de l’enregistrement et de la sauvegarde. Si je n’ai pas oublié si sous un mot… je n’ai pas oublié quelque chose. Une fatigue nerveuse enflamme mon corps, m’oblige à prendre des raccourcis. J’ai rendez-vous sur des chemins de neurones, sur une constellation de matière grise.

La mémoire peureuse qui secoue les os, et le souvenir se glace sous la coulée volcanique de la pensée.

Fatigue infinie de la pensée et de la mémoire, le corps rigidifié au milieu du vide, les yeux trop occupés pour regarder, avec la moindre attention, quoi que soit.
Douleur paroxystique de l’oubli, car déjà il arrive, le prochain souvenir, il file à grande vitesse et depuis le train de ma pensée, je le vois par la fenêtre, ce souvenir, cet arrêt, cette station ; cette gare fourmillante, lumineuse, si brève que je n’en perçois que l’écume de ses possibilités, que j’oublie et que je dois impérativement me souvenir de ma destination. Il existe en moi de rares lieux de paix, sans souvenir ni oubli. Mais maintenant ? Il me faut quelques mots, une image peut-être, pour extraire la mince sève odorante du souvenir, pour soutenir ma pensée par une volonté appliquée1. C’était quoi ? Ah ça y est ! Je m’en souviens.

Un monstre me gratte l’arrière de la tête, j’essaye de l’écraser comme un vulgaire moustique, mais rentre dans mon cerveau et creuse des sillons, où une eau amniotique n’en finit plus de couler. J’enfante des torrents de pensées et de souvenirs.

C’est tellement silencieux, ici, tout près de moi, que le moindre craquement de ma conscience fait un boucan à réveiller les morts.

J’aimerais faire de ma pensée, un bon usage. Posons cette première question, qui me semble primordiale : où mettre ses pensées ? Cette première question en appelle d’autres : doit-on classifier, compter, archiver, documenter, dater ses pensées ? Si parfois le besoin d’économiser ses pas et son souffle se fait sentir, faut-il pour autant économiser sa pensée ?

Un
jet
un
mouvement
expiratoire
pour
libérer
le plexus.


Se sentir page

se sentir écran

tout banc, tout vide.

sous
l’eau
froide
c’est
l’extinction
des
feux.

J’aime beaucoup les portes ouvertes sur des grandes pièces vides, je trouve cela apaisant. Je connais bien cette douleur aiguë, persistante, infinie de la pensée. Je vis avec elle, comme avec un animal de compagnie, un chien, un chat, une présence dont il faut s’occuper régulièrement : faire sortir sa pensée, promener sa pensée, faire uriner sa pensée, donner à manger à sa pensée, je pourrais lister tout ce que je devrais faire de ma pensée, mais il y a une limite, je dois veiller à ce qu’elle ne se retourne pas contre moi.

1 : morceau piqué à Antonin Artaud.


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