P#9 Les photographies

C’est une photographie. Ses bords ont été découpés, on n’a visiblement plus le cadrage original. Cette photographie a été collée sur un calendrier fait comme un cahier à spirale, au mois de février. En dessous, les semaines et les numéros des jours sont inscrits à la main. Chaque fin d’année, nous avons droit à un nouveau calendrier pour l’année qui vient. Cette photographie montre un jeune homme maquillé de façon à peine maniérée, comme s’il avait fallu forcer le trait « pour la photo », justement, pour réussir le portrait qui a été fait. On remarque l’éclairage travaillé mais non professionnel. On remarque le rouge à lèvres et l’eye-liner. On remarque le gloss. Cette photo doit faire partie d’une série en noir et blanc. Il ne peut en être autrement car on a le sentiment que d’autres portraits du même jeune homme maquillé ont dû être réalisés et mieux.

Cette photographie est en noir et blanc. Elle a été tirée sur une imprimante laser de qualité médiocre et manquant un peu de toner, ce qui lui donne une texture et un granulé tout à fait spéciaux. La lumière vient de droite et surexpose un peu cette moitié du cadrage. Cette lumière est naturelle puisqu’on peut voir se refléter une partie de la fenêtre dans le verre droit des lunettes rondes à écaille que porte un homme. Son visage est sans sourire, encadré de cheveux longs en épis sur la tête. Le bas de son visage est lui aussi encadré, mais par une longue moustache et une longue barbe en bataille. On dirait une photographie prise au matin, juste après l’arrivée dans une cuisine. On voit une poutre au plafond qui fait ligne de force presque horizontale.

Voici deux photographies de format carré. Du Six-six ou du neuf-neuf. Le tirage est sur du papier brillant et en couleurs. Mais, à première vue, il semble que ces deux photographies, d’une même série, sont en noir et blanc, voire en sépia foncé. La lumière est tellement neutre et sombre. Un homme édenté semble hurler face à l’objectif sur la première image. Il a les cheveux collés à son front et à ses joues. Sa main gauche, avec les doigts en éventail, tient un fume-cigarette entre l’index et le majeur. La cigarette, sans filtre, est déjà presque consumée. Sur la deuxième image, on ne distingue que le mouvement de sa tête qu’il hoche violemment. On voit le flou rapide que fait sa longue chevelure et l’élastique qui retient sa queue de cheval. On comprend tout de suite, par l’éclairage et par le motif, qu’il s’agit bien d’une série. La preuve que ces deux photographies sont en couleur est que le fume-cigarette est jaune d’or.

A propos de Fil Berger

Fil Berger, je, donc, compose les textes qu’il écrit avec des artefacts sonores et graphiques et ses pièces musicales avec des artefacts d’écriture et graphiques. Le tout cherche, donc, une manière d’alchimie modeste située entre ces disciplines. Il a publié des livres d’artiste avec le plasticien Joël Leick chez Æncrages et Dumerchez. Quelques revues comme Paysages écrits, Traction Brabant ont retenu des textes. Il a travaillé et composé des pièces musicales documentées sur CD. Il a partagé pendant plus de vingt ans des moments de création avec des chorégraphes, des plasticiens, des auteurs, des improvisateurs et des compositeurs. Il a animé des ateliers d’écriture et de partitions graphiques avec des personnes de toutes sortes. Fil Berger, je, donc, est un improvisateur qui compose et performe en forgeant ses propres outils, ses champs lexicaux, ses instruments, sa présence au monde en les mettant sans cesse en variation continue. Son travail est la recherche de convergences multiples entre... l’idée et la pratique du « baroque » et... la pratique et l’idée de l’insurrection « œuvrière » autonome.