L’ivraie

Et telle fut sa rentrée dans ce grand casernement gris avec au centre, des carrés de pelouse comme des tapis de jeu, et sur ces tapis insérés entre les terrains de basket, de raides vestales en pierre, et à leurs pieds, la masse mouvante et susurrante des élèves, énorme grappe de gamins de son âge mal réveillés, le cartable calé entre leurs jambes, plus ou moins gênés et intimidés et parmi eux, des filles les mollets nus entre socquettes et jupes, étranges dans leur geste, ondulantes un peu,  de voix flûtée. Des filles, il n’en connait pas beaucoup, leur façon d’être ensemble en petit cercle pépiant et pouffant, leur goûts pour les messes basses, le mettent mal à l’aise. Dans cette foule, certains se connaissent et se reconnaissent, s’agroupent aussitôt, faisant des envieux, prenant immédiatement des airs affranchis, les redoublants surtout font les malins, d’autres se résolvent à adresser un mot à un inconnu pour se donner confiance, j’espère que, pourvu que, mon frère m’a dit que, j’ai peur que, comment tu t’appelles ? quelle langue tu fais ? ah on sera peut-être ensemble alors, et tu vas faire latin ?  ils les regarde un à un, se demandant lesquels deviendront ses amis, lesquelles il ne se le demande pas, il y en a une pourtant, muette comme lui, coulissant des regards en tous sens comme lui, dont il observe bien malgré lui la coupe nette de la chevelure  au niveau de l’occiput, comme un topiaire enraciné sur un cou blanc jaillissant de l’encolure de son manteau, une petite barrette dorée retient sa mèche de devant, ses yeux brillants verts ou noisette il ne saurait dire, une fille de son âge qui sans qu’il en ait vraiment conscience se distingue déjà des autres, et au-dessus d’eux, un ciel mousseux grisâtre et lointain promettant les pluies d’automne et une sale odeur de laine mouillée. En l’occurrence, il ne pleut pas, ou pas encore, un petit rayon pâle court entre les mâchoires grises du bâtiment. Un peu à l’écart des enfants, une femme replette, mollets ronds plantés dans des trotteurs, poitrine généreuse moulée dans un lainage rose, œil aquatique et chignon platine, lisse, tendu, luisant, en forme de conque parle avec un vilain jeune homme servile un peu vouté dans son veston sans forme.Un rien à l’écart, une poignée d’autres adultes discutent entre eux, avec des mines plus ou moins sympathiques, sévères ou avenantes, ternes dans l’ensemble excepté une dame plutôt âgée dans une robe chamarrée sur lequel elle a jeté un manteau turquoise qui fait tache dans cette réunion grisâtre et semble entrer en compétition avec la conque platine au lainage rose. Le groupe des adultes se remue, la femme au chignon luisant fait quelques pas en avant, agite de grandes feuilles blanches, s’adresse encore au jeune homme qui fait danser ses semelles dans son empressement, la femme plante son regard bleu sur la foule des élèves, attend le silence qui envahit peu à peu la grande cour. C’est la surgé explique un redoublant aux novices, une vraie peau de vache ! L’appel commence: 6e A1, ceux qui sont appelés iront rejoindre Mme D., professeur principal, la robe chamarrée s’avance, avec un sourire engageant et déjà il espère être dans sa classe. La voix de la surgé n’est pas très sonore, elle ne désire pas la forcer et oblige la foule à tendre l’oreille. Des grains uniques se détachent de la grappe pour rejoindre Mme D. auprès de la conque platine, formant grain à grain une nouvelle grappe, plus petite se détachant à son tour de la surveillante générale pour suivre en chenille mouvante Mme D. qui s’éloigne sur ses talons pointus, la robe virevoltante et les hanches en balancier. Pas de bol se dit-il observant avec appréhension le grand bonhomme sec à moustache M. F. professeur principal de la 6eme A2, il n’est pas appelé et s’en trouve bien content en voyant s’avancer un petit homme rondouillard et suant qui peut être tout sauf méchant, pourvu que je sois en 6ème A3, mais on en est déjà aux 6ème B, puis C et D, la grosse grappe de plus en plus clairsemée et finalement plus petite que celle des appelés qui s’en vont à leur tour. Ne reste que lui, comme la quiche que tu es aurait dit sa mère mais sa mère n’est pas là, il est le seul enfant dans cette cour immense à l’intérieur de ce bâtiment immense dont toutes les fenêtres le regardent, il est seul face à la dame au chignon plein et tendu comme un muscle d’athlète, face à son valet vouté qui ricane déjà, il est seul et elle l’apostrophe : eh bien qu’est-ce que vous faites encore là, vous? C’est très piteux et très petit qu’il lui répond piteusement et petitement : je n’ai pas été appelé. C’est très froidement et très sèchement qu’elle lui demande son nom et affirme après vérification interminable dans ses listes que bien sûr que si, vilain pas beau, vous avez été appelé, il faudra déboucher vos oreilles, emmenez-le donc dans sa classe, ordonne-t-elle au pion qui lui tape dans le dos et l’attrape par l’épaule, Viens, suis-moi

on va dire que c'est la 8 mais si peu dans le bain que pas sûre du tout, à peine le temps de lire les propositions, en tout cas ça fait suite à L#1, je ne trouve pas ça si lyrique, il faudrait tout reprendre... :-(

A propos de Catherine Plée

Je sais pas qui suis-je ? Quelqu'un quelque part, je crois, qui veut écrire depuis bien longtemps, écrit régulièrement depuis dix ans, beaucoup plus sérieusement depuis trois ans avec la découverte de Tierslivre et est bien contente de retrouver la bande des dingues du clavier...