#P1 Par les persiennes de la mémoire

le contraste entre l’espace surdimensionné de cette chambre d’hôtel (elle aurait contenu deux fois le studio où je vivais alors) et la poussière de ses couleurs, sa moquette triste, ses rideaux fanés, son couvre-lit de mauvais tissu, son rigorisme de plan quinquennal.

moins préoccupée par l’opération du lendemain que par le lien à trouver, pour un texte en cours, entre le roi de carreaux et Charles IV de Bohême, dans mon souvenir le lit d’hôpital est moëlleux comme une couche impériale.

le chatouillis désagréable des moments volés à l’enfance, gratte encore comme la couverture et le tissu au mur.

éclair d’une boule en laiton sur le montant du lit.

Ça sentait l’encaustique, les lattes du parquet étaient toutes petites et se défaisaient par endroits, la vieille poupée aux cheveux en bataille n’ouvrait plus qu’à moitié les yeux. D’en bas me parvenaient les bruits familiers de l’atelier. D’à côté, des voix chuchotés. On veillait sur mon sommeil.

Il y avait un lit le long du mur, dans l’axe de la porte, un bureau, quoi d’autre ? La chambre était beige je crois, ou jaune, je ne sais pas. Je ne me souviens que de la lumière vive baignant la fenêtre au matin.

un grenier, quelques nuits d’été, le bruit de la rivière si froide quand on y tombait, l’odeur nouvelle, écœurante, adorée, du lait cru.

sauf le matelas par terre, la pièce n’était meublée que d’une chanson en boucle qui parlait de l’est et de l’ouest, d’une frontière, d’un mur.

un carrelage blanc (il fallait, disait-il, accepter la saleté, c’est la vie) et des murs sans cadre où il projetait des images déformées, suggestives.

toukoudoutougoudoutoukoudou toukoutoukoutoukoutoukou ououiiinnn ! ccccrrrrr… vvvviiiiii…. pschschschsch (écarter le rideau, à peine, les autres couchettes dorment, lire le nom de la gare à la lumière blafarde du quai). ffffuiiiiii. ffffuiiiii. tchika tchika tchika toukoudoutougoudou rrrrronnn pisch

A propos de Laure Humbel

Dans l’écriture, je tente de creuser les questions du rapport sensible au temps et du lien entre l’histoire collective et l’histoire personnelle. Un élan nouveau m'a été donné par ma participation aux ateliers du Tiers-Livre depuis l’été 2021. J'ai publié «Fadia Nicé ou l'histoire inventée d'une vraie histoire romaine», éd. Sansouire, 2016, illustrations de Jean Cubaud, puis «Une piétonne à Marseille», éd. David Gaussen, avril 2023. Un album pour tout-petits, «Ton Nombril», est paru en octobre 2023 (Toutàlheure, illustrations de Luce Fusciardi). Le second volet de ce diptyque sur le thème de l'origine, prévu au printemps 2024, s'intitulera «BigBang». Actuellement, je travaille à un texte qui s'alimente de la matière des derniers cycles d'ateliers.

9 commentaires à propos de “#P1 Par les persiennes de la mémoire”

  1. ça donne un bel élan, les ruptures continuelles de rythme (ai toujours plus de réticences aux transcriptions sonores, mais c’est pas grave!)

    • Merci pour le commentaire. Ce n’était pas prévu ces transcriptions sonores, c’est venu comme ça, et j’ai laissé aller.

  2. ça ouvre des perspectives. On imagine, on devine l’avant et l’après de chaque fragments. « toukoudoutougoudoutoukoudou toukoutoukoutoukoutoukou ououiiinnn ! ccccrrrrr… vvvviiiiii…. pschschschsch » c’est très musical donc ça respecte la consigne.

  3. On sent jusqu’au renfermé de cette chambre d’hôtel !
    Les transcriptions sonores m’ont fait penser à un texte anglais que j’avais eu à traduire pour un cours ! Mais impossible de me souvenir…

  4. L’éclair d’une boule de laiton… l’odeur écœurante adorée du lait cru…on veillait sur mon sommeil… Tant de belles ouvertures

    • Relisant mes textes sur L5, je lis votre commentaire auquel je n’avais pas répondu. Merci, Nathalie. L’éclair de la boule de laiton m’accroche aussi à la relecture.