huit fois

les hôtels sont innombrables (ils viennent de rouvrir tsais) (le nombre de nuit passées ici – attends que je compte – un peu moins de vingt-cinq mille, et il n’en faudrait que dix – non mais la consigne, ça sert à laisser son bagage) à Naples ils les avaient supprimées, les consignes (pour obéir à celles de sécurité, probablement) : où dormait-on, à Naples, la hauteur sous plafond plus de quatre mètres, les décos de stuc, les deux fenêtres qui donnaient sur deux rues perpendiculaires, les mobylettes qui hurlent les gens qui boivent chantent dansent jusque pas d’heure, la petite figurine masquée de noir rouge et blanche bonnet noir gros bide en mille et mille exemplaires et peut-être surtout, surtout les babas au rhum

les voitures qui ne cesseront pas de passer même à trois heures ou quatre, sur les quais qui bordent le fleuve, le musée en face, les lampadaires qui n’éclairaient pas de jaune (la chambre trente-cinq, lit une place au coin une fenêtre la petite table de nuit donnée par l’amie qui vit à la vingt-cinq, comme elle ici, à l’année, au plafond comme servant de lustre cette cage à oiseaux ouvragée qu’on trouve à Sidi-bou-Saïd – depuis quand, dis-moi, depuis quand ? si longtemps, elles avaient ensemble déménagé du palace trop onéreux, début soixante-dix) (le lendemain, sans avoir trop dormi, le concours rue Rollin, ingé son – les taxis les voitures et vers cinq ou six, cynique, dutronc qui chante « les strip-teaseuses sont rhabillées »)

ce soir-là la chambre dans la gare – aucun souvenir mais dans la gare (mais je me souviens, entre tellement d’autres, de celles de Metz et de Genève), le lit drap sac à viande, le pantalon en boule, seul – dormir sans rêve (combien de chambres semblables, combien de nuits passées-là par des contrôleurs, des roulants, des gens de passage)

sur un des bancs de la gare de l’est aux abords direct des guichets (ça n’existe plus, ça servait à poser son bagage en attendant son tour, c’était au siècle dernier), arrivée à 2 départ à 6, allongé sur le bois fatigué en serrant son sac (le calme immense du hall et de la solitude à nouveau) le froid

le lieutenant en gants blancs qui inspecte la poussière de la chambrée (on appelait ce genre de gradé une crevure) (tu sais quoi, on espère qu’il sera dans de beaux draps, qu’on ne le retrouvera pas en opération – on revoit la trois cent dix septième section, on peut imaginer les rêves, on peut imaginer où les gens dorment – ici Royalieu caserne Compiègne, ici en quarante-quatre passait Desnos, en février mon grand-père, une étape du transfert) (l’armée, la grande muette, a de la mémoire)

l’odeur de la mer, mais sans la chaleur qu’on connaissait, une espèce d’humidité le froid de l’aube la mer au loin (une bizarrerie que cette mer qui s’éloigne, se retire à des kilomètres, qu’on n’entend plus, vagues à peine visibles – samedi soir dimanche matin sans tente sans abri, le sable collant, au loin nuages plombés) c’est une cabane dont on a forcé la porte, là où se changeaient les baigneuses

une chambre une maison rue Jeanne-d’Arc coloc sans doute briques presque noires les premières nuits d’amour – au cœur la perte, la faim de destinée – au poignet sa montre fond noir aiguilles d’or automatique ronde bracelet de cuir noir – dormir à peine l’amour aussi – au réveil la montre n’est plus là ou oubliée en partant trop vite ou volée ou perdue – chambre aux volets clos – l’été sans doute, on allait chanter quelque part on était en retard

dans le coffre de la quatre-cent-quatre allongé sur les valises, les collines de quelque part vers Forcalquier Dieulefit ce genre de villages inconnus improbables oubliés dehors passent les arbres, les virages, ne pas dormir mais rêver, ne pas rêver mais voir, les arbres noirs les yeux des animaux sauvages, une espèce de montagne, les virages les lumières des phares au loin devant entre les têtes des enfants – les vitres entr’ouvertes et l’odeur des pins, on arrivera bientôt – fermer les yeux ne pas dormir ne pas dormir

A propos de Piero Cohen-Hadria

(c'est plus facile avec les liens) la bio ça peut-être là : https://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article625#nb10 et le site plutôt là : https://www.pendantleweekend.net/ les (*) réfèrent à des entrées (ou étiquettes) du blog pendant le week-end

9 commentaires à propos de “huit fois”

  1. Merci pour les voyages faits en vous lisant,( jusqu’à Naples, oui, la hauteur sous plafond). Baladée, emportée par vos textes (à titre de bagage, ou passager clandestin), on a roulé beaucoup, me suis pas endormie. Merci

  2. Très émouvants ces lieux bizarres où dormir. Tristes aussi « au poignet sa montre fond noir aiguilles d’or automatique ronde bracelet de cuir noir » . Plus heureux le souvenir du coffre de la quatre cent quatre. Envie de continuer.

  3. Mes préférées, la montre avec le sentiment de perte en peu de mots et la dernière avec pour les deux ces énumérations qui sont parfaites pour servir ton texte. Merci.

  4. J’ai aimé les lieux (même ou surtout) les « matelas » pas commodes, les bruits, l’odeur de la mer, les nuits bourlingueuses, tout !

  5. « le lit drap sac à viande,… (le calme immense du hall et de la solitude à nouveau)…une bizarrerie que cette mer qui s’éloigne, se retire à des kilomètres, qu’on n’entend plus, premières nuits d’amour et les aiguilles de la montre … les arbres noirs, les yeux des animaux . Ne pas dormir .  » Partir de là pour rêver