#photofictions #01 | La non dite

Combien de fois n’ai-je été tentée de les prendre en cachette, corps plié sur les livres, les crayons qui tournent irréguliers sur la page, les chevelures tressées rousses coupées à ras, militaires et joviales, les ratés du canif sur le côté pour reproduire la mode des petits traits sur le crâne, imiter les géants du football, porter sur la tête les stigmates de l’entêteur, le tatouage de temps à autre mais c’était déjà plus cher, interdit aux mineurs, combien de fois n’ai-je pas voulu, me mordant les yeux, les saisir au passage d’une saynète devant la classe, le monologue qui tue, les poèmes ahanés du bout des lèvres devant le groupe médusé tout de même, le frisson du jeu collectif, combien de fois, ces visages splendides, le soleil dans la figure, dans la bouche, les cités du soleil où j’ai travaillé trente ans déjà trente ans. Et puis ce souvenir, après avoir visionné ensemble la fiction allemande de La Vague, le lendemain ils m’avaient préparé une de ces surprises. Etaient rentrés un à un, lentement, fiers d’eux et s’étaient installés : tous, absolument tous, vêtus de blanc… le choc, le rire venu d’eux-mêmes, « vous ne vous y attendiez pas madame hein ? », et puis petit à petit la question qui m’est arrivée, gênée drôlement émue : « Mais dites donc, j’espère quand même que vous ne me prenez pas pour un gourou… ? » tous ont tellement ri, mais quand même, je n’ai pas pu m’empêcher, la photo volée, les tee-shirts blancs, leur bouille réjouie, mes doigts tremblants (le cliché tout flou)… et aujourd’hui je ne sais plus ce qu’elle est devenue, aspirée dans un portable vieux comme le monde, il y a de cela presque vingt ans. La vague blanche dans la salle de classe.

A propos de Françoise Breton

aime enseigner, des lettres et du théâtre, en Seine-Saint-Denis, puis en Essonne, au Cada de Savigny, des errances au piano, si peu de temps pour écrire. Alors les trajets en RER (D, B, C...), l'atelier de François Bon, les rencontres, les revues, ont permis l'émergence de quelques recueils, nouvelles, poèmes. D'abord "Afghanes et autres récits", puis en revues "Le ventre et l'oreille", "Traversées", "Cabaret", "La Femelle du Requin"... Mais avant tout, vive le collectif ! Création avec mes anciens élèves d'Aulnay-Sous-Bois de la revue numérique Les Villes en Voix, qui accueille tous les textes reçus, photos, toiles...

5 commentaires à propos de “#photofictions #01 | La non dite”

  1. Lumineuse cette photographie absente. On aimerait voir en surgir pour poursuivre le récit, un de ces visages en particulier.