#photofictions #06 | Contre-jour

Une prise de vue au ras du sol qui le balaie de gauche à droite tu es comme couché sur l’asphalte tu ne sais plus où tu regardes tu ne sais pas si tu es tombé au milieu d’une large avenue, impression que la route se soulève tangue la houle te bringuebale tempête de bitume strié de marques blanches de rails des jambes passent de droite de gauche manquent s’accrocher tu es au milieu d’elles comme une île

Comme une île dans New York au milieu de l’avenue devant l’objectif les yellow cabs comme dans les films et les chevrolet Suburban noires sur les starting blocks calandres démesurées encadrées de chrome rutilant comme des bouches prêtes à te dévorer vitres teintées qui emporteront avec elles le mystère qu’elles dissimulent un homme d’âge moyen costume cravate et sac à dos se trouve sur la droite du champ comme un fantôme avec la bouche ouverte les avant-bras relevés et mains aux doigts écartés de celui qui est en grand conversation sur la droite aussi mais un peu plus vers le milieu une jeune fille aux longs cheveux teints prune et bleu turquoise, maquillage soutenu, longue veste noire, mini-jupe collants et bottes noires elle regarde vers ciel sa silhouette ondule au son de la musique qui se déverse dans ses écouteurs

Les gens devant toi dans l’escalator qui monte à une heure d’affluence il doit y avoir l’espace d’une marche peut-être deux entre l’objectif et le couple devant histoire de ne pas le coller dans leurs cuisses on voit le tissu fleuri de la robe ou jupe de la femme et le jean délavé de l’homme et entrant dans le champ par la gauche le visage d’une petite fille qui fixe droit l’objectif de ses grands yeux curieux ils sont marrons, son nez est retroussé et sa bouche entrouverte montre l’espace vide laissé par une dent de lait tombée tu scrutes son regard et tu te demandes ce qui lui vient en tête quand ses yeux plongent dans la béance de l’objectif tu as l’impression d’y déceler de la peur

La silhouette d’une femme de dos se découpe sur le ciel à l’horizon d’une large avenue où le soleil néanmoins encore puissant offre au spectateur le contre-jour parfait la tête et les épaules de la femme ses bras jusqu’à la taille sont entourés d’une aura flamboyante son dos est dans l’ombre ses jambes et ses pieds se perdent dans le bas de la photo de même ceux des autres piétons qui l’entourent et la précèdent mais elle occupe seule une place que le regard aiguisé du photographe chevronné a pu saisir à l’instant précis où elle surgissait devant lui

Tu sors du wagon de métro un homme y rentre on voit qu’il baisse légèrement la tête et on voit aussi que l’appareil photo a été basculé vers le haut avant le déclenchement l’homme est immense et costaud une véritable armoire à glace mais au fait ça existe encore les armoires à glace ? pas sûr qu’on en voie encore beaucoup dans les magasins de meubles ou même chez Ikea ce n’est plus trop la mode ce genre d’armoire d’où les hommes qui y ressemblent ne courent plus les rues.

A propos de Catherine K.

Mon nom complet est Catherine Koeckx (prononcer Kouks). Citadine depuis toujours mais avide de nature et de grands espaces que je partage par la photo ou l’aquarelle (www.catherinekoeckx.be), je suis aussi passionnée par la ville (@bruxelles_autrement). Bruxelles mais pas que... J’ai publié Le Guide lovecraftien de Providence en 2021 (disponible sur Amazon.fr ou sur commande privée). Je viens de lancer mon blog littéraire Itinéraires pluriels (https://itinerairespluriels.wordpress.com).

3 commentaires à propos de “#photofictions #06 | Contre-jour”

  1. Quelles belles images qui montrent et racontent et qu »on emporté avec nous : le regard de la petite fille, l’armoire à glace, les voitures aux vitres teintées et leurs mystérieux passagers. Merci, Catherine !

  2. Bonjour Catherine
    Cinq beaux textes-images pleins de significations. Merci beaucoup pour cette lecture.