#photofictions #07 | Maternité

Quand il entre dans la chambre, il est assailli par les pleurs, les jeunes mamans sont affairées auprès de leurs bébés, pour certaines c’est le premier, elles doivent tout apprendre et d’autres connaissent la musique, elles en sont à leur deuxième voire bien plus, six lits de fer peints en blanc, des tables à langer, il doit s’en tenir à un horaire précis et si une jeune maman donne le sein, il attend dans le couloir mais en général cela se passe sans trop de retard, les infirmières veillent au grain, il ne faut pas qu’il vienne trop perturber la vie de la maternité qui n’est pas tous les jours facile. Il regarde autour de lui pour voir par quelle jeune mère et son bébé il va pouvoir commencer, regarde sa montre, espérant expédier l’affaire en maximum une heure quand il repère cette jeune femme brune, cheveux impeccablement coiffés, chemise de nuit à petit col rond, sans manche, bien qu’on soit en octobre, il s’approche, lui demande si elle a été prévenue qu’un photographe allait passer et si elle souhaite la séance photos. Elle répond que oui. L’infirmière qui est dans la salle sort et revient aussitôt avec le bébé. Il demande à la jeune maman de s’asseoir dans le lit, un simple coup d’œil de sa part et l’infirmière tend le bébé à la maman. Celle-ci commence à le bercer. Il lui fait remarquer que son bébé est bien calme tandis qu’il prépare son trépied déjà réglé à la bonne hauteur et installe l’appareil. Elle lui répond qu’elle – c’est une fille – ne cesse de dormir depuis le premier jour. Alors cette séance photo devrait se dérouler sans encombre s’entend-il lui répondre. Il regarde au travers de l’objectif et le cadrage est déjà presque parfait. Vu le nombre incalculable de photos en maternité qu’il a déjà réalisées, il peut presque travailler à l’aveugle. Il voit cette maman se pencher avec une telle tendresse sur son bébé, il voit ce regard qu’elle porte sur cette petite fille, cette connexion qui s’établit même si le bébé a les yeux fermés qu’il sent soudain sa gorge se nouer et ses yeux s’humidifier, tout devient trouble et il doit bien s’avouer que des larmes lui emplissent les yeux. Heureusement, il a le réflexe du professionnel et, sans même penser au résultat, déclenche l’appareil avant de se redresser et de saisir un mouchoir dans la poche de son pantalon pour les éponger. Il s’excuse et sort de la pièce, prétextant une poussière dans l’œil. Il s’enferme quelques instants dans les toilettes et se met à pleurer à chaudes larmes. Cela ne lui était jamais arrivé en quinze années de reportages photos dans les maternités, écoles, mariages et autres réunions de famille. Il avait d’ailleurs déjà songé à changer de métier car à la longue les injonctions « mettez-vous comme ceci, comme cela, tournez la tête vers la gauche ou la droite, redressez un peu votre bébé, etc » commençaient à le lasser.  Ici, il n’avait rien dû lui dire, elle était tellement naturelle. Il ne comprend pas ce qui lui est arrivé à lui le vieux briscard des mariages et des maternités, il en avait vus tellement qu’il n’y prêtait même plus attention, chacun de ces reportages n’était plus que des dates cochées dans un agenda et au suivant. Jusqu’à ce jour-là.

A propos de Catherine K.

Mon nom complet est Catherine Koeckx (prononcer Kouks). Citadine depuis toujours mais avide de nature et de grands espaces que je partage par la photo ou l’aquarelle (www.catherinekoeckx.be), je suis aussi passionnée par la ville (@bruxelles_autrement). Bruxelles mais pas que... J’ai publié Le Guide lovecraftien de Providence en 2021 (disponible sur Amazon.fr ou sur commande privée). Je viens de lancer mon blog littéraire Itinéraires pluriels (https://itinerairespluriels.wordpress.com).

6 commentaires à propos de “#photofictions #07 | Maternité”

  1. Bonjour Catherine
    Merci beaucoup pour ce beau texte très touchant ! On s’identifie tout de suite à ce photographe pas si insensible que ça…

  2. Sous les traits de l’ordinaire, ton texte glisse vers l’extraordinaire : le bébé, la mère et même le photographe. Belle perspective.

  3. Extraordinaire, ce photographe qui « aurait pu travailler à l’aveugle », cette douce simplicité d’accueillir tel quel, sans retouche
    Et écrire comme ça vient, c’est peut-être le trésor
    Merci vivement Catherine !!