#photofictions #09 | l’éolienne

La curiosité s’élevait derrière les grilles sur la propriété du notaire. Une colonne autour de laquelle tournait un escalier jusqu’à une plate-forme, où se déployait comme un soleil d’argent une roue que faisait tourner le vent. Le jour du marché à la volaille, on ne manquait pas de faire un détour pour l’admirer ou s’en plaindre. Comment l’appelait-on déjà ? L’éolienne. Quiconque avait visité Kew Garden ou le Muséum d’Histoire naturelle, reconnaissait l’ouvrage en acier tel qu’il était travaillé depuis peu. Les uns revivaient les grands frissons sous les chapiteaux itinérants qui passaient dans la région deux ou trois fois l’an. D’autres repensaient à une scène de balcon au théâtre. N’était-ce pas après tout un mât de cocagne en haut duquel on aurait suspendu quelques beaux jambons bien gras ? Que l’inventeur soit l’héritier d’une famille de fondeurs de cloches depuis plusieurs générations n’étonna personne. À tout âge, on se posait quelques instants devant les grilles et attendait que son stator mobile tourne au contact du vent. Les immenses pales en se mouvant actionnaient automatiquement une pompe dissimulée dans le corps même de la colonne centrale et l’eau remontait ainsi des profondeurs de la terre pour arroser le parc. On en parla beaucoup et décrivit le fonctionnement de la turbine à vent, cela devint complexe : deux roues, une motrice et une directrice, un boitier du couple conique supérieur, un moulinet orienteur. On tentait bien de dessiner un schéma dans le coin de sa tête ou on se laissait directement aller à la poésie. On affirma même qu’une automobile à la vapeur d’eau avait été inventée. Au centre du giratoire, il n’y a pas foule en ce jour d’inauguration du nouveau rond-point permettant de fluidifier et de sécuriser le trafic à proximité de la commune. Pourtant l’éolienne Bollée a été démontée, transportée, pour être remontée à cet endroit précis cent vingt-quatre ans plus tard. Le maire coupe le ruban tricolore, un photographe saisit l’instant.

Mots clés : Thymerais – 1850-1918

A propos de Romain Bert Varlez

J'écris pour mieux lire.

4 commentaires à propos de “#photofictions #09 | l’éolienne”

  1. Matière à poésie, l’éolienne. Utilisatrice et pourvoyeuse à la fois, sème le vent jusque dans les profondeurs de la terre, récolte l’eau. Il y a de la magie dans l’usage et dans son apparence aussi, de cocagne, belle analogie.

  2. C’est vrai, la poésie s’échappe étonnamment de ces considérations historiques et techniques. J’aime beaucoup.