#revisite #09 | A nul moment je n’ai décrit votre visage

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Visage caché, seules visibles sont ses oreilles

ses omoplates

les lignes de sa rousseur non uniforme.

– 2 –

Dans le noir, sa chaleur et le moteur qui tourne tourne tourne, preuve de sa présence. A trop la regarder, finira-t-elle par disparaitre ?

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Longtemps je me suis haï. Mon double, mon triple, quadruple menton écrasant mon reflet dans la glace, ce nez énorme, encombrant, et le cataclysme de mes cheveux qui vont dans tous les sens, cette bouche, tordue, bouche qui crachait, vomissait haine, ressentiment, le quasi-monosourcil qui trônait au dessus de mes yeux, et mes yeux, mon regard, qui partait de travers… C’était une vision d’horreur impie, menaçante, un monstre effroyable, indigne des pires cauchemars.

Puis elle est apparue dans ma vie. Il y a eu ses yeux, pleins de toute la lumière du monde. Le velours de son front contre ma joue. Sa tête se pressant avec force contre ma joue. La douce chaleur de son corps dans mes bras. Et le moteur, qui tournait, tournait, tournait. Alors, pour la première fois de ma vie, je me suis senti aimé.

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Des antennes paraboliques cherchant scrutant l’alentour un bruit lointain ma voix son nom répété avec insistance ignorée il faut rentrer il est déjà bien tard la nuit menace,

ce jour où elle disparaitra où ses deux perles ne seront plus qu’un souvenir qui s’éloigne se rétrécit je le crains, peut-être que je m’inquiète pour rien.

– 5 –

Des tiges — métalliques ? — les unes blanches, d’autres noires, celles-ci rares au début, de plus en plus nombreuses sur la fin.

– 6 –

Rousseur. Non pas uniforme. Mais des contrastes dessinant des motifs. Lignes creusant son dos, se séparant au niveau de ses omoplates. Parfois, ces lignes se brouillent, se brisent, ou elles se confondent avec la table sur laquelle elle est posée, la terre qui la soutient, l’arbre dans le jardin, les nuages dans le ciel bleu.

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Ses yeux, deux perles, toute la lumière du monde y est contenue. Si elle les ouvrait, on y verrait des mondes et des mondes, innombrables, paradis inespérés, des refuges.

– 8 –

De ses paupières fermées la route qui s’élève qui rêve s’éloigne et grave le nez perdu dans le noir si noir fauteuil, et le fauteuil trône sombre au centre de la pièce qui déborde de livres,

sans une ombre,

sans un souffle,

sans une présence…

Seul.

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 Ses dents s’enfonçant dans ma main,

 des dents, petites, qui ne blessent pas,

 qui piquent

 qui caressent.

 Sa rousseur contre mon front.

 Elle dans mes bras dormant,

 mes bras lourds de son corps,

 mon front lourd de sa tête,

 et le moteur qui tourne tourne

 s’arrête.

 Alors elle s’en va me laisse

 à ma solitude.

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Posée sur mon épaule elle cherche à toucher les nuages, à griffer le ciel.

– 11 –

Rousseur tombant s’élevant légère tantôt rouge feu tantôt blonde comme le blé on les trouve partout sur mes vêtements partout mes murs en sont pleins mes livres en sont pleins et mes pensées tout ça est insaisissable s’en va s’élève et retombe vole à nouveau ils s’en vont sortent de ma chambre pleine de livres vont avec le vent. Mes mains rêches tentent de les retenir. Ils me fuient. M’évitent. J’appelle. J’appelle encore. Rien d’autre que le silence.

– 12 –

L’ombre de l’absente

fait frémir le jardin,

son nom répété avec désespoir,

reviendra-t-elle ?