Sol vertical – ma taupe

Sol vertical – ma taupe

Je baisse les yeux – Elle sillonne la souterraine vierge vers le debout du ciel

Mon regard s’élève – La silencieuse reflue aux plus sombres contrées l’horizon embrumé dont la ligne s’arrache à l’échappée du sol

Lourd – Noir – Ivre de faits clandestins

Elle a refermé ses yeux – Dessiner les détails dans les replis de son enclos paupière

Et c’est comme ça, myope à flairer ce qui trouble les narines dilatées vers les racines du chaume à coup de tête repoussées vers le ciel endeuillé de menaces sombres de n’avoir pas encore versé son eau de juin qui, pour le coup fait naître un espoir de passer une journée sans pluie, comme si, à rayon croisé sur sa dilatation refroidie, le soleil affichait une moue dans son coin de nuage n’en écartant pas la possibilité à la taupe de croiser son destin à celui du ver de terre qui se tortille d’étonnement au premier coup de dent – et hop, englouti la bestiole dans le fond de la gorge à nouer ses anneaux desséchés par le manque soudain d’oxygène comme si la vie sous terre diffusait ses drames insoupçonnés – c’est à quatre pattes que l’enfant sonde l’invu du chaume de blé à la recherche d’un temps où il ensorcelait les anciennes campagnes d’une nappe chaude, en dégageant une odeur de sable blond.

Sol vertical – ma taupe

Chaume de blé sec égratigne les mollets courts de l’enfant qui ne s’émeut pas du sang perlé que brode une constellation de coquelicots coagulée sous l’effet de l’air brassé par l’affolement de la course – ce n’est pas quelques flèches de paille encore aiguisées par le récent fauchage que le gamin se détournera de sa course, plus tard d’autres sangs perleront des béances de ses plaies féminines ; les adultes le nomment l’intrépide, il faut dire que sa vivacité égale sa frénésie de vivre : il a tant à faire, tant à voir, tant à tourmenter qu’à peine le pied relevé du chaume, les affuts de paille piétinés plantent leurs estocs dans sa peau, une carte du tendre, provoquant des rires de cisaillement, d’où s’échappe l’horizontal envol de quelques libellules fuyant ses doigts crispés en forme de serpe prête à cueillir cette moisson volante parée d’émeraudes irisées ; ce qui rend les insectes vulnérables et repérables, même aux yeux d’un gamin pressé qui agite la face du monde en suivant une trajectoire, dont lui seul en comprend le dessin – un instant il s’assied en posant avec fermeté ses fesses sur le tapis de chaume à demi soulevé par la motte de terre, sape de taupe ; chaume qui a rapidement perdu son lustre par les épousailles non consenties avec le monticule enserrant son collet. L’enfant scrute vif, d’un œil acéré et mobile l’origine des picotements qui parcourent la surface de ses tibias, chevilles et orteils nus, en quête des fleurs de sang, sort d’entre ses lèvres une langue gourmande.

Sous la peau.

Une fébrilité emporte la danse de ses doigts en une envolée chirurgicale, dont les ongles noircis de terre ne restent pas inactifs ; creusent les plaies, trifouillent jusqu’au plus profond – le monde autour de lui s’absente, ses pensées se replient dans le souterrain de sa chair « Mais le plus beau dans mon terrier, c’est le silence », et les fleurs de sang extirpées du dessous de la surface adviennent sur sa peau d’intrépide qui n’en est pas à subir ses premiers assauts, tant il se plait à taquiner les cicatrices en quête d’une preuve de vie. Sa vie. Jusqu’aux pleurs de rubis, elles renchérissent la cartographie marquée par les précédentes guerres livrées sur un territoire d’épiderme adouci de quelques poils blonds enfantins, et poursuivant son œuvre trempe l’index dans le jus de son sang à la recherche d’une succulence ferrugineuse prenant le goût du crime. Crime de jouissance – mal. Forcément mal ! La saveur du fer lui est familière, puisqu’à chaque repas, défie les observations de sa mère, en pourléchant d’un geste effronté et d’un regard espiègle, le fil de la lame de l’opinel tachée de nymphéas oxydés.

A propos de Josée Theillier

Artiste plasticienne à dessins tissés Les enjeux ? Découdre l'abrupt du vêtement