Suivre les lignes noires

Suivre les lignes noires

Glissades et roulades, les orphelins du déluge se noient sur les pavés glissants de la cité flamande à 4 h du matin les pas incertains qui clignent des yeux sous le réverbères à peine des lueurs, regarde ses pieds et ces godasses si neuves et rutilantes, anti dérapantes et pourtant ça glisse, sous les pavés, il y a ce sable mouillé qu’on arrive pas à retenir tellement il glisse entre les doigts, les doigts du matin froid et humide,  ceux des pieds qui se dépêchent de faire se bruit qui claque comme celui des sabots des chevaux, se sentir vivant dans ce bruit rythmé et furtif qui te monte dans tous le corps pour finir aux mains qui s’agitent pour se réchauffer et pour marquer le tempo du sol qui te porte jusqu’à l’achèvement de la nuit, le seuil de la porte cochère en marbre usé, une invitation à rentrer, il hésite, repartir marteler ce sol glorieux de tant de rires, d’impasses et de gerbes, mais le bois de l’escalier, geint à n’en plus finir, alors il se décide, la chaleur de l’écorce polie par des pas incessants, pressés ou traînants, c’est un rythme lent sans bruit celui du sommeil qui vient, reste sur l’asphalte ce bras de bitume en route pour nulle part.

Il sent le froid de la pierre sur ses fesses nues, il aime se lever tôt, il reste là à contempler la les dalles sombres de la terrasses, un chemin magique jusqu’au citronnier, énorme, chargé de fruits lourds, entre les dalles de schistes, les fourmis sont déjà au travail, une longue procession, il attend qu’elles révèlent les secrets du sous-sol, des secrets bien gardés, par un serpent parait-il, le même qui traîne du côté de l’arbre, il se cache dans ses racines , c’est sûr, plus il regarde plus les racines bougent et s’enlacent, il aimerait voir ça de plus près mais la chaleur, mais la peur de ne plus revenir tout à fait à la même place, des claquements de sabots, légers, des caresses de granit, il sourit, il attend mais il sait qui arrive, elle l’a entendu, elle viendra se frotter contre lui, elle n’a pas de nom, seulement la chèvre noire et blanche et il se réveillera tout à fait. Il a quatre ans et la guerre a commencé.

Ne regarde que ses pieds, que ses godasses montantes, pleines de boue ( il a plu pendant la nuit) le chemin est glissant, des pierres affleurent ça et là, il les évite soigneusement, autant de pièges, le souffle est au rythme de la terre noire et lourde ( un autre souffle,  terre craquelée assoiffée, mares asséchées) impossible de reculer, avance , avance encore, un ravin sur la droite s’éclaire peu à peu entre deux falaises sombres encore, la terre saturée dégorge de petits ruisseaux qu’il enjambe, les herbes se redressent c’est un chemin d’avant oublié dans l’espace des falaises, il s’enfonce dans les bosquets éteints, des buissons tordus effarés de leurs feuilles mortes s’agrippent à l’hiver, un bruit d’avion( le B29 ronronnait aussi avant Hiroshima, avant Nagasaki) les chiens n’ont plus cours , la chasse est fermée , seule la lune les fait aboyer, la brume se lève, la terre respire un long souffle majeur, les racines poussent entre ses doigts meurtris, à n’entendre que les bruissements profonds de la dérive des corp, les ombres claquent sur les murs qui s’étirent , escaliers de verre sur les toits du monde, il les monte et les descend  espérant des mots qui ouvrent le temps de vivre.

A propos de Guy Torrens

Guy Torrens est né en 1952 à Alger. Après des études de philosophie, il se tourne vers le métier d’éducateur auprès de jeunes délinquants. Il anime des ateliers d‘écriture créative à Marseille où il réside. L’écriture et la scène : Chanteur parolier de trois groupes de rock punk ( Fin de série, Dirty Bitch, L.V.3.S) de 1985 à 1995. Tournées principalement en Allemagne, Pologne, République Tchèque, Belgique. Das Klub. Scène vide. La nuit a digéré les derniers spectateurs. Claquements répétitifs d’un soupirail mal fermé. Rythmique minimaliste. « Port de l’angoisse, je bois tes mots, pas tes lèvres. » Les derniers mots flottent encore. Martèlement des pieds, jets de bière, éjaculations spectaculaires. L’écriture et la nécessité : Après la mort de son compagnon qui a partagé sa vie pendant 25 ans, il se consacre entièrement à l’écriture. Poèmes, romans, nouvelles, pièces de théâtre. C’est le bruit du moteur. La mort ne fait pas de bruit. Une fuite sidérée. Celle des rêves. Sombre était le jour, sombre était la nuit. On vivait dans cette opacité, propre à rendre fou, n’importe quel homme normalement constitué ; Le message arriva le matin du 2 janvier. Un cri d’année nouvelle. Anonyme. « La vie n’est qu’un sillon, celui qu’on ne peut tracer, les nuits d’errances sont des meurtres. »

11 commentaires à propos de “Suivre les lignes noires”

  1. Belle langue et atmosphère touchante … J’avais écrit quatre textes séparés comme vous, François Bon m’a proposé de les réunir, expérience interessante, alors je vous la transmets car il me semble que vous pourriez aussi si l’envie…

    • je pense garder les textes séparés, ils correspondent à trois atmosphères et endroits particuliers de ma vie, peut-être après. Merci

      • J’espère ne pas vous avoir offensé. J’ai peut-être été maladroite. Vos textes sont tout à fait biens comme ça., et se lisent avec plaisir. je voulais juste partager mon expérience. j’ai écrit des textes séparés également correspondant à des moments différents et suivant la consigne, j’ai découvert autre chose qui m’a semblé une ouverture. mais bien sûr, ce qui vaut pour moi ne vaut pas forcément pour tous ! Il faut suivre aussi son instinct ! et je suivrai vos créations avec plaisir.

  2. Bonjour Guy, suite à notre discussion de l’année passée, j’avais rejoint l’atelier d’été sur les 10 premières propositions mais je n’avais pas osé publier de texte, cette année je me lance enfin ! Quelle émotion. Merci de m’avoir orientée vers Le Tiers Livre et les initiatives poétiques de François Bon, c’est une magnifique, inspirante découverte. By the way j’adore ton texte si visuel et ces paires de godillots en recherche éperdue de lumière. À bientôt à te lire, avec joie