#techniques #06 | scruter un volume, vide compris

Hans Haacke, Cube de condensation, 1963-65

Un volume cubique, 55 m3 habités surtout dans la partie basse. Le haut est occupé par du vide, le bord d’un tableau, le coffrage d’une poutre dans le plafond. Cette couche vide est toutefois nécessaire à ses déplacements, sa respiration, au renouvellement de l’air mais aussi d’impressions – sans ça, le plafond à hauteur du crâne ne suffirait pas à l’esprit pour cheviller un espace tourbillonné dedans.

Autour du buste jusqu’au-dessus du crâne le volume est plus chargé – certains murs soutiennent une étagère ou un placard. Plutôt qu’ouvrir une porte de placard dans la réalisation d’une quelconque tâche quotidienne – derrière la porte attendent à hauteur des yeux des assiettes des bols des saladiers, des verres, des provisions un petit monde familier trop connu trop fidèle une extension d’elle-même qui peut devenir aussi grinçante que son ennemie intérieure quand elle l’envenime lui promet blessures et saletés piquent sa jalousie en remuant des volumes contradictoires aux proportions harmonieuses. Non, ce volume fermé bien ordonné derrière la porte du placard, il reste accroché au mur quand s’échappe à hauteur de vue corps vertical, une trajectoire subite – une trajectoire d’araignée surprise : des rectangles déformés se chevauchent les uns les autres en collages superposées au-dessus de bribes de pages emmaillées les unes dans les autres sans texte lisible une mêlée de lignes à l’état de verdure. C’est là que siège, porté par deux jambes en appui sur les pieds et la généreuse colonne de vertèbres qui lui monte derrière le dos, son observation lente du tableau accroché dans la partie inhabitée du volume mural.

Descendons maintenant sous le niveau de la table pour se rapprocher du volume occupé par les assises. A cette hauteur l’espace semble particulièrement hospitalier. Deux longueurs de canapé, un siège de fauteuil à dossier, deux plateaux de chaises. Rien à vir d’autre que des bords de dossiers serrés sur une étagère ou des objets entreposés sur une desserte, rien à scruter en particulier mais la promesse d’une sortie du plancher enfin les pieds en l’air au moins sans poids dessus et aucun déplacement harnaché à sa chose à faire, le volume vide attend, l’assise attend le postérieur, le dossier attend le dos ici tout est prévu pour ne rien faire et ça, le corps le sait mieux que tout le reste.

Dessous, quelques courant d’air, quelques pieds de chaises et de meubles. C’est la hauteur des pieds quoi qu’il en soit. Ici le sol n’est pas pour y coucher à même, même un tapis de sol ne suffit pas. Il reste les chaussures vides qui attendent d’être chaussées près de l’entrée. Quand la main synchronise la poignée de porte, la bibliothèque du regard vole en éclat, aspirée littéralement par les autres dimensions du réel son air, sa fraîcheur, son hydrométrie, sa vitesse de déplacement jetée sur la peau, sa floraison de photons naturels, ses pigments, sa synthèse à se demander si elle ne rejette pas de l’oxygène soudain depuis l’intérieur de ses deux cavités pulmonaires plutôt qu’un dioxyde de carbone déjà en surcharge dehors.

A propos de Nolwenn Euzen

J'écris dans les ateliers du Tiers Livre depuis 2022. Cycles: "techniques et élargissements" , "le grand carnet", "photofictions" ou 40 jours d'écriture au quotidien" (juin-juillet 2022). Mon blog le carnet des ateliers concerne quelques séjours d'écriture et ateliers que je propose, associés notamment à la marche à pied. J'ai publié deux livres papiers et un au format numérique quand j'étais plus jeune. Je me fâche régulièrement avec l'écriture et me réconcilie. Je suis d'abord une infatigable lectrice. "Babel tango", Editions Tarmac "Cours ton calibre", Editions Qazaq "Présente", Editions L'idée bleue Ces revues m'ont accueillie dans le passé: La moitié du Fourbi, Sarrasine, A la dérive, Contre-allée, Neige d'août, Dans la lune... Et, grâce à l'anthologie "La poésie française pour les nuls" (éditions First) je sais que dans un des livres de la bibliothèque de la ville où j'habite, c'est moi. Et ça compte d'être tatouée comme ça. J'ai participé plusieurs années aux échanges de blog à blog des "vases communicants" - mon site a disparu depuis. En 2007, j'ai bénéficié d'une bourse de découverte du CNL. Le texte a été abouti. J'ai bifurqué vers d'autres urgences. Enfin voilà quand même, je suis contente d'être arrivé là bien qu'aujourd'hui le temps a passé et que j'ai toujours un casque de chantier sur la tête. J'aime ça.

3 commentaires à propos de “#techniques #06 | scruter un volume, vide compris”

  1. Je perçois ce que François qualifie d’écriture du dehors dans un flot de mots. Ton écriture du dehors, c’est la surfa

  2. Je perçois ce que François qualifie d’écriture du dehors dans un flot de mots. Ton écriture du dehors, c’est la surface d’une mer agitée où les mots vont et viennent. Je le vois comme ça. Et j’aime bien.

  3. Très bonne reprise de la consigne, texte à la fois déroutant en ce qu’il donne à voir du dehors, avec un rendu d’étrangeté (au sens étranger à soi), une mise à distance comme une mise en abîme.