#techniques #07 | Le Chant du RER A)

– Voyage 1 –

reflet fatigué plein de préoccupations dans la vitre sale

ville toits rouges noirs qui croit s’étend crève l’horizon cubes

entassés ciel bleu feuillages verts tirant sur le jaune le gris

dans le wagon ça piaille bavarde il y a un enfant qui crie

tunnel sombre les vitres me renvoient mon agacement reflet

des autres passagers de moi qui essaie de faire en vain silence

dans ma tête le tunnel se prolonge noir lumière jaune pisse

du wagon livre qui me fuit difficultés à y bitter quelque chose

au bout du tunnel la lumière le ciel est gris délavé verdâtre

des bâtiments explosés en feu brisés comme des allumettes

des trains couchés métal rouillé des rails vitres brisées

des arbres tordus gris à nouveau le tunnel ça piaille

laideur de ces physiques alambiqués faces fatiguées bruyantes

vieux mépris social qui guette livre qui ne veut pas se lire

– Paris –

mains arrachées cœur saignant la terre inondée tremble

les façades crasseuses ont des regards pleins d’appréhension

l’humanité s’étage on s’ignore les pigeons là-haut

observent posés sur les toits ou chiant sur le pauvre badaud

en bas gronder les prières des foules impitoyables

les pierres assemblées font un patrimoine plein de cadavres

c’est partout chants et danses slogans hurlés fracas des pianos

peintres cabarets on meurt seul dans les chambres de bonnes

chacun se méfie de l’autre on se guette se juge ivre de rancœur

une tour de métal lève son majeur haut vers le ciel

– Voyage 2 –

tours cités blocs lignes droites ou courbes points horizon

lumière des couleurs images floues insaisissables paysages

terre sèche craquelée poussière le soleil nous en veut

et des murs nous enferment bâillonnés effacés il faut en sortir

misérable humanité qui piaille des enfants crient qu’ils

se cassent disparaissent herbes desséchées déserts paysages

morts les livres abimés ont des mots lourds trop lourds à

porter une voix dans le haut-parleur annonce le prochain arrêt

– Damas –

sur les toits des taches blanches ou rouillées milliers d’yeux

le soleil nous en veut d’avoir du temps libre à perdre

un nuage gris de pollution opaque a recouvert notre insouciance

voitures taxis autobus brouhahas coups de klaxons injures

mendiants se trainant parfois amputés d’un bras d’une jambe

odeurs insoutenables soleil enragé ici un cadavre de chat

un vieux souk recouvert on y vend épices fruits secs tissus

on déguste de la glace au mastic préparée au mortier

des femmes voilées trainent derrière elles leurs domestiques des

Indonésiennes Mauritaniennes Philippines esclaves modernes

deux enfants avec nonchalance ont balancé leur bouteille de soda

on voit partout accroché le même portrait d’homme sévère

– Voyage 3 –

bruit qui tape qui cogne fort le wagon me ramène à la réalité

il est plein le wagon d’âmes en peine qui se serrent s’asphyxient

veulent exister contre autrui la chaleur humaine a tout embrasé

dehors des champs de blé de lavande de tournesol

des oliviers des orangers et des rizières à perte de vue

des paysans dansent folkloriquement au son du biniou

on se piétine ou se lacère tous les prétextes sont bons pour se haïr

les druides au pied des dolmens et des menhirs sont de sortie

– Bristol –

gonflées des échos lointain de la mer et le cœur d’une crainte

le chant des goélands m’a tiré de mon sommeil j’ai les oreilles

tenace pressentiment d’apocalypse le vent siffle et sous le ciel

délavé des pubs des boutiques depuis des millions d’années

abandonnés des restaurants sans clients sont les vestiges

d’une civilisation trépassée une rue s’élève là une librairie

souvenir d’une école de langues où se croisaient les nationalités

souvenir d’une boite de nuit qui puait l’alcool et la misère

un supermarché plus loin et tout au bout là-haut dans le ciel

comme une cathédrale imposante l’Université de Bristol

– Voyage 4 –

océan vagues qui battent le train s’enfonce tunnel

sombre oiseaux par milliers gueulent échos d’un lointain

ailleurs elles sont les vagues pleines de remords

pleines d’îles cocotiers sable brun montagnes verdoyantes

des corps se dorent sur leurs planches des surfeurs tentent

de toucher le ciel les rivages sont pleins de chants le soleil

nous en veut tempêtes destruction de l’espace et du temps

l’eau est constellée de morceaux de corps à la dérive

– Fort-de-France –

il faut les imaginer ces bâtiments aux façades multicolores

qu’aucun cataclysme n’ébranlera ces huttes dressées

fièrement au marché on vend papaye banane coco on mange

de la glace au mastic préparée au mortier il faut la voir

l’église pointant téméraire sa flèche haut vers le ciel

les boutiques abandonnées les foules balançant des pavés

l’imagination encore tente de saisir les lignes droites ou

courbes points horizon lumière les images floues et ternes

qu’y fait-on nonchalamment assis un livre à la main

qu’y fait-on luttant contre les piaillements des passagers

– Voyage 5 –

le wagon s’est dépeuplé ça crie moins à part quelqu’un

au téléphone retour des arbres tirant sur le jaune

on cherche des repères la ville aux toits noirs rouges

on cherche des repères encore un tunnel avant d’arriver

la lecture peut reprendre l’humanité s’est éteinte maintenant

on ne le fait pas on pense on regarde le ciel qui rougit s’assombrit

les nuages l’autoroute ça roule encore là on cogite on pense

au chat qui nous attend aux livres qui ne se liront pas on voit

la gare pointer son nez la voix dans le haut-parleur a annoncé

le nom de l’arrêt on attend que le quai cesse de défiler s’arrête

– Joinville-le-Pont –

quotidien morose retour à la case départ le pont tant

de fois parcouru s’accroche à mes pas me condamne

à revenir à ruminer tourner en rond si je buvais la Seine

et tous les déchets qui s’y noient je ne serai pas désaltéré

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