#été2023 #08 | Séjour (Brouillons du)

Teasers

Le noir n’a pas de phrase. N’a pas de liaison. N’a pas de sujet. Le noir n’a pas les mots. Le noir n’a personne pour le dire, n’entretient pas de liaison. Ne veut rien dire. Le noir ne dit rien. Le noir le mot noir. Noir est l’essaim de tous les mots. Dans le noir les papillons. Dans le noir les tégénaires. Dans le noir ainsi, les mots. 

Dans le noir. Il y a un escalier. Est-ce qu’il descend ou qu’il monte ? Chaque marche est une répercussion, dans répercussion, il y a percussion, le mot, répercute, de percussion en percussion se noie, de marche en marche, il y a noyade. Il y a onde dans noyade. Des mots dans le noir. — Il descend. Dans le noir des doigts vont à l’interrupteur. Des doigts ont des yeux dans le noir, le noir a des tentacules à bouts de bras, le noir est la maison des bras, des bras tendus dans le noir, les mots. Les sens des mots se perdent, dans le noir, sont des sucres, les bras ont tous les sens, brassent les bras, les doigts des palmes. Sous le mot la chose. Sous le doigt l’interrupteur, sans un clic sous le doigt, sans un claquement, commande à la VMC, coupe le souffle de la maison, dans le noir, il y a une poignée, dans le mot noir le mot poignée, l’ouvre, se saisit du noir, pénètre, s’immisce, se fond, fondent les uns dans les autres les mots dans le noir, les uns sucre des autres (…)

Spreaders

Le séjour est le lieu de l’écriture. 

Le séjour est un lieu et un temps. 

Le séjour est le temps de l’écriture. 

Dans le noir des trous sont percés dans le mur. Quatre trous dans le noir d’un diamètre de huit millimètres sont percés au foret à béton de deux cents (cent vingt) emmanchement compris, conçu pour mandrin standard. Un carré de quatre percements dans le noir d’une profondeur de quatre-vingt-dix millimètres est réalisé en préalable à l’enfoncement de chevilles traversantes quatre-vingts millimètres tous types de murs. Ailettes antirotation : ne tourne pas dans le mur. Zone d’expansion multiple pour un ancrage maximum. Expanser la cheville simplement en vissant, dans le noir, (dans le mur,) le mur du fond, dans quatre-vingt-dix millimètres du mur afin d’en atteindre, derrière le carreau de plâtre, la brique(, la brique pleine). 

/ Dans le noir quatre trous dans le mur. (…)

/ à goujure double

Quelle est dans le noir l’épaisseur d’un carreau de plâtre ? Une épaisseur de cinq centimètres convient surtout pour les cloisons de doublage. Pour les cloisons de séparation, on utilise généralement des carreaux de sept ou huit centimètres. Une épaisseur de 10 centimètres apporte une bonne isolation phonique. 

(…)

Cet escalier que les jours dévalent sans y penser, sans arrêt, et comme s’ils n’étaient pas les jours mais de l’eau et (formaient/composaient avec) lui un rapide, une cascade, ses marches en pin peu à peu déverni plus sujettes encore, là, à l’usure de leurs nez, que dévolues à leur (conventionnel) usage — quant à le remonter, on n’en parle pas. Monter l’escalier n’existe pour ainsi dire pas —, voilà que, avec précaution, avec circonspection, degré après degré, quasi dans le recueillement, il est cette fois — enfin, dirait-on — descendu. Dans le noir.

/ dans le repos de la maison 

/ ou l’angoisse

/ en y guettant entre les balustres, par les claires-voies (en l’absence de contremarches) comme à des meurtrières/rayères — mais sans parvenir à déterminer dans quel sens, dans le noir, est pratiqué l’ébrasement (? et donc distinguer un intérieur d’un extérieur ?) (et faisant ainsi le tour de l’escalier comme d’un chemin de ronde ?)

/ et le giron pour coussiège — s’y asseoir

à en être gagné par l’immobilité de l’escalier et jusqu’à ne plus savoir s’il monte ou, dans le noir, descend — si ce n’est pas le même degré qui se répète ou régénère dans le même temps qu’il est descendu (comme descendre un escalator qui monte et à la même cadence)

se suspendant dans la considération ou la méditation ou la pénétration (ou suspendu dans la suspension, l’étang étant lui-même suspendu à ou alimenté par sa contemplation), si ce n’est l’observation, de l’étang ou nappe — phréatique à sa manière : domestique — qui a monté / dont le niveau a remonté jusque dans le séjour, ce qu’on appelle en bas, jusqu’à le noyer, l’engloutir / pour en engloutir le séjour (si les volets ont été ouverts c’était, le dix avril, pour le vidanger)

/ ici renversant le ruisseau / la cascade de Coups frappés sur le bois II (La pêche à la truite en Amérique, R. Brautigan)

Cet escalier — à claire-voie qualifiant un ouvrage de charpente ou menuiserie dont les pièces laissent du jour entre elles — 

/ sans contremarches

qui à son tournant se jette dans le jour droit de la fenêtre à un battant dont la poignée est immédiatement à main droite au dessus de la marche de départ

que le jour droit de la fenêtre sur rue en bas baigne

dans l’angle (en) bas duquel

voilà que, dans le noir, il ne monte ni ne descend plus, voilà qu’il n’y a personne dans l’escalier et que cela se voit (et voilà qu’une marche, ou est-ce que tout l’escalier craque)

il n’y a personne et cela, y compris dans le noir, se voit (parce que c’est écrit dans le noir : c’est écrit avec le noir du noir. C’est écrit à l’encre du noir — on ne voit pas, dans le noir, si c’est écrit à l’encre noire)

/ On ne voit pas les couleurs mais les formes, on ne voit pas les lettres dans le noir, mais les mots oui, ou les choses que les mots disent. Ce qui est écrit, dans le noir on le voit — mais les mots ne touchent pas les couleurs du doigt. Tout le reste — sauf les couleurs — est là.

dans le noir qui n’est en somme qu’une espèce particulière d’œillères — à condition d’y être totalement, de s’y adonner pleinement, de s’y résorber jusqu’à ne plus y être, jusqu’à ce qu’il ne soit plus question de sa présence, d’y être ou pas, car il ne s’agit plus de se trouver ou bien perdre dans le noir : il s’agit, dans le noir, de l’être, de le rejoindre, de ne faire qu’un, d’être le noir que le mot noir dit. D’être le dit noir / le noir (qui est) dit. 

/ On n’est personne, est un con, on est les yeux au bout des mots dans le noir, qui sont des doigts, les mots doigts courent, tâtonnent dans le noir

marche balancée / gironnée

ou debout dans l’échappée (L’échappée sous tête, aussi appelée « coup de tête » ou « échappée sous dalle », est la hauteur minimale prévue dans l’escalier (entre la marche et le plafond). C’est lorsque l’échappée sous tête n’est pas assez haute qu’on risque de se cogner la tête.)

escalier quart tournant bas (abrégé qtbas)

… mais voilà que les bras suivent les yeux (ou en pare-chocs et antennes des yeux sont en avant lancés) et les jambes entraînées par les bras et entre, en toute probabilité / probablement/vraisemblablement un corps

/ et les mains aux bouts des bras et les doigts à bout de mains — des mots mains, des mots bras

(…)

Ce que le jour se (contente, se) satisfait de (se borne à) survoler, ce par-dessus quoi le jour surnage, le noir l’a à la bouche. Le noir y a plongé. 

Le noir le porte à la bouche. Le noir y porte la bouche. La bouche du noir. Le noir est une bouche. Ce qui demeure irrésolu ; entassé ; remisé ; repoussé ; ce que le jour ignore dans son mépris, la méprise du jour, le noir s’en charge ; le noir s’y colle

/ le met à la bouche / l’a bien / le roule / le tourne en bouche (le noir est mâché remâché, du mâchonnement, de l’avalement)

les profondeurs (les noirceurs, les épaisseurs, les abîmes, les doubles-fonds — les faux fonds s’ouvrent, le décor, l’aménagement de la maison n’est que faux fonds, rien ne tient, tout prend l’eau une fois plongé dans le noir, une fois réveillé dans le noir : ce n’est pas immédiat, il y faut un temps de macération ou de catalyse, un temps de sommeil, il faut être réveillé par le noir, par un assaut du noir, un remuement, un flash, car le noir a ses flashes —, les zones d’ombre) que le jour délaisse pour s’adonner à la surface, aux espaces, aux échappées de l’activité diurne, le noir le recèle, le resserre, le concentre. Le noir est congestionné de noirceur et d’affaires irrésolues / en suspens / qui sentassent / sous pression sous la masse, en la présence massive, la prise en charge massive de l’irrésolu, irrésolu devenant insoluble dans le noir (la solution d’insolubilité ?) 

/ par l’engloutissement, dans un sursaut, cette sensation de chuter, et d’où, comme si l’on était perché, cette soudaine détente de tout le corps, qui surprend, qui laisse flottant entre deux couches de noir, deux nappes, deux strates, devenu eau souterraine, phréatique

Dans le noir les zones d’ombre gagnent. Se concentrent (congestionnent). Se rejoignent. (Les flaques, d’ombres font des fondrières et puis de ces mares, des étangs, des étangs de carrière plongeant d’un coup dans lesquels se noyer. Attention à la baignade en carrières noyées (est dangereuse / égal danger.) Ces carrières noyées, ce sont les séjours dans le noir.)

Le délaissé diurne se soulève dans le noir, les cartons, les outils abandonnés dans les coins, parce que même, dans l’abandon de la tâche, les outils cependant ne veulent pas réintégrer leur boîte, tout le long des murs n’est qu’une suite de remords, de caviardages en cours.

là la spirale du bord d’un tapis roulé (roulé sur lui-même, sur l’odeur de la poussière des jours, poussières quasi phosphoresentes comme sont les étoiles qui sont des pellicules sur les épaules du noir — et porté par le noir pour le traverser) et le grain de sa trame à l’ovale dense de laquelle la courbure de la main ouverte se fait et repose et passe, c’est long, le tapis n’en finit plus, les genoux sur le carrelage de plus en plus dur demandent un répit, à genoux sur les tibias jusqu’à ce que se fasse crampe la plante d’un pied alors il faut bien réagir, il n’est pas de repos, même auprès d’un tapis roulé qu’il faut quitter pour entre quatre pieds de chaises granuleux d’oxydation et puis remontant la pente d’un trépied de tubes également froids, aboutir à main droite à un large (large d’un bras, d’un embrassement) panier d’osier où s’entassent des chapeaux de toutes saisons dont un heureusement sans un bruit (juste dans un souffle) tombe (mais ici le chapeau est intégral, il n’y a nulle tête de laquelle ils puissent choir, c’est tout le séjour qui est, dans ce coin notamment, sous l’escalier, et dans les moutons de poussière qui par les claires-voies en chutent, si bien que l’on se croirait vraiment là sous les averses d’atomes que les théories épicuriennes/lucréciennes du monde physique supputent, inventent, imaginent, il vous pleut du noir sur tout le corps et la cagoule ou cape de noir et cette pluie sont un seul et même élément, pluie et cape ne font qu’un, qu’un revêtement, qu’une peau, qu’un corps, qu’un corps qui est la concrétion de tout ce qui se trouve ou rencontre autour, d’obstacles comme d’esquives, de tous les coins et les coups par la magie fluide du noir évités (évitée au lever du jour la vision de parcelles affadies de noir à même la peau, sur l’aine, contre le bras, la bosse du noir sur le front en l’absence de museau, tentant d’y palier en avançant les bras en éclaireurs, en pare-chocs, en instruments d’appréhension du noir (et se tenir le noir entre les doigts et entre les bras et puis s’en revêtir, couvrir, entourer et comme s’y arrimer pour enfin ne plus bouger, retrouver le repos, être soumis à l’immobilité, se trouver enfin immobilisé jusqu’à être découvert, jusqu’à ce que le jour et toute la lumière se fasse, que le corps de la nuit ait été attrapé et piégé et contraint au jour

Le noir a ses flashes qui ne sont pas lumineux, qui sont de la matière noire, qui sont de la bouche noire prédatrice, les canines noires, molaires noires, noires les incisives qui cependant saillent et mordent, et déchirent, qui travaillent le jour à son insu. Le noir est l’insu du jour. On ne voit pas dans le noir la déchirure qui est là — juste on y tombe ; un monde s’y effondre (Le noir est une toute petite chose qui parmi les décombres, le chaos, s’éveille, se soulève, s’élève, se pelotonne autour du peu qu’elle est pour s’en saisir, s’en gorger, s’en repaître, s’y consoler — savonnette échappée dans le noir). Le noir est l’inconnu du jour. (Quant à la nuit, elle a sa vie inconnue et du jour et du noir.)

Une activité, dans le noir, peut être, à la condition de ne pas espérer se relire, poursuivie, c’est écrire.

(…)

Ce qui fait corps, étang dans le noir. Ce qui fait corps et étang dans le noir. Ce qui se rejoint dans le noir, ce que le noir rejoint. Le noir étant et le corps et son milieu. Et l’eau et le poisson dans l’eau. Ce qui fait conscience dans le noir. Ce qui éveille, fait lever dans le noir. Le lever dans le noir — se lever ? non, personne encore, le noir est l’unique agent. Le noir étant l’étang de l’étant. Le noir étant le fond et la forme. La forme dans le fond. La forme comprise dans le fond, l’inclusion. Le noir, c’est l’écrit omniscient — pourquoi ne pas me détacher de la progression et de la position d’un corps dans le noir ? 

Le bain du noir. La jointure du noir. Les articulations du noir. Tout s’écrit dans le noir ; l’écriture du noir ; le noir écrit. Forme et fond, c’est écrire dans le noir. Le noir est tout ce qui s’écrit. C’est en écriture, en s’écrivant, c’est en mots et en phrases que le noir se détache du noir. C’est écrit noir sur noir. C’est s’écrivant que le noir se met en relief. 

L’inarticulé du noir. La masse inarticulée du noir. L’informulé du noir. Le corps est le seul mode d’articulation (d’appréciation) du noir, le corps se mouvant dans le noir. Corps mouvant. Le corps organe de l’articulation du noir. Dans le séjour, dans un intérieur, le noir et son immobilité se confondent. Le corps est le seul facteur/émetteur/agent de mouvement dans le noir. Le corps, noir lui-même avec tout dans le noir, faisant partie, étant partie intégrante du noir, est le seul, est tout le mouvement du noir.

Le corps est la langue du noir.

(le noir prend en masse)

La masse de l’écrit dans le noir est inarticulée, est page contre page, à ne pas respirer ; est pressée, compactée ; est infeuilletable, est inconsultable ; n’est pas archivée, est remisée ; dans un coin ; la masse d’années d’écrit ; est resserrée dans le coin sous l’escalier dans des cartons de déménagement, l’escalier à claires-voies

/ demeure secrète, impubliée

/ le mille-feuilles noir / est un îlot escarpé, aux rives inabordables

/ est refermée (cadenassée, verrouillée) sur elle-même (c’est comme un coffre-fort à serrure à combinaisons multiples, impossible de les retrouver, ou d’en retrouver l’ordre séquentiel/séquencé)

Les contenus enlèvement — ils sont un corpus, sinon un corps, une masse documentant une forme de vie ayant maille à partir avec l’écriture ; une vie partagée avec l’écriture

Le noir et ses contenus sont l’omniscience en action. Ils ont des yeux partout dans le séjour, ils adoptent tous les points de vue — y compris et surtout les plus scabreux et casse-gueule, les plus équilibristes —, n’en ont aucun en propre — ils ont toutes les questions et aucune des réponses. Ils inventent et le noir et ce qui en noir = dans le noir s’y dessine et effleure. Observer, inventer, écrire, c’est, pour eux, questionner, c’est mettre en cause et en jeu, ils ne concluent à rien, n’établissent aucun version, rien de définitif, n’étayent aucun fait, aucun de leurs énoncés — ne cessent d’inventer, d’imaginer (car le noir contient toutes les images), demeurent en l’air (même dans l’air lourd et confiné) car c’est tout ce que ces écrits sont, ne sont pas là pour rester. Les écrits restent sur les bords du séjour — où l’activité diurne les repousse. 

/ les petits airs de V. Woolf, Time passes (sont des lutins) (et les assistants de K. ?)

Des poches de noirceur (cartons, sacs de sport, de voyage, à dos, dossiers, cahiers, carnets, pochettes et tous meubles de rangements) dans le noir se rejoignent, bougent, viennent à se toucher, à se fondre, des translations, des tranfèrent, des migrations opèrent. Le séjour étant plongé(e) dans le noir, le noir déborde des objets. Le noir déborde les objets. Tout objets plongé dans le noir en déborde ; y per ses contours ; se mêle à d’autres et des autres — cela fait corps ; combinaison ; chimère ; monstre. le noir est sans contenant. Le noir est du contenu qui se répand, qui emplit out, bientôt le éjour déborde de noir, bientôt l’espace intérieur est sous pression, en surpression, surimpression de noir. Tout vient en noir sur noir sur noir. Assaut. Le noir est une émulsion.

Sous l’escalier dans le noir il y a ça (cette image, cette vignette, ce bonbon à sucer, à développer) : « Dans le noir. Il y a un escalier. (…) » La phrase fait son chemin dans le noir, y avance à tâtons ses doigts et ses antennes, tentent d’y placer ses mots (les mots sont la pointe des pieds des phrases — ou coussinets de quadrupède ?)

(…)

Une entre toutes, activité dans le noir, peut être poursuivie, prolongée même — à condition de ne pas espérer se relire —, c’est — manuellement parlant — écrire :

/ à condition d’avoir en préalable perdu tout espoir de jamais se relire — activité d’écriture pour rien, nul futur = dans le noir

/ dans le carton / entre les pages / dans l’ordinateur (écran noir, sa face, noyée noire dans dans le noir, éteint) la phrase ou présomption « le noir est la maison des bras », 

allégation gratuite, aveugle, énoncé infondé, improvisation, hameçon lancé à l’aveugle sans savoir ce qu’il en remontera, édifice bâti sur des courants d’air, le texte, les phrases — un livre est cela : un édifice aux fondations de courants d’air, les murs même y sont des couloirs — où tout coulisse

— Dans le noir on commence toujours, forcément par se tromper, comment ne pas tâtonner dans le noir (et l’écrire se fait, peu important les conditions de lumière, la luminosité, et ceci très amèrement constaté, dans le noir, n’est pas une activité nocturne, non, parce que la vie nocturne se fonde sur la nyctalopie ou le fait d’y voir, non, écrire est tout simplement ou bonnement ou rien qu’une activité d’aveugle, écrire se fait aveuglément, on écrit aveuglément, présomptueusement), et si on tâtonne, c’est parce que, d’abord, on touche à côté (et écrire est toujours tomber à côté, peut-être n’y aurait-il pas de livre sans cela, mais seulement des épitaphes, tout livre, y compris un roman, est un essai, tentative), on ne fait pas mouche, on a d’abord manqué la cible (et la question alors ne serait pas seulement d’écrire, mais de cibler), le noir est rempli/comble d’à-côté, écrire est rempli d’objectifs manqués

/ c’est-à-dire et comme tout, noyée non mais, pour un temps, appartenant à l’ensemble noir, et à tout ce dont il regorge ou qu’il recèle, et dresse, aussi, car non seulement le noir, en fait ne noie pas mais dresse, le noir est un embrouillamini, un feuilletage, un dédale d’écrans ou obstacles, barricades, noirs, réceptacles des chocs, instigateurs des bosses, des bleus (qui un moment sont, dans le jour ou le miroir, toute partie du corps n’étant pas immédiatement accessible à ses yeux, noirs), y compris sur le plan du bureau en bas de l’escalier — et donc : partie prenante du noir, s’y associant, le grossissant, le peuplant, le densifiant, plus il y a de choses, plus un espace, l’espace d’une pièce, l’espace d’un seul tenant, d’un bloc ou d’un pan, est rempli plus il y fait noir, l’encombrement est facteur de noir, facteur d’obscurcissement, on n’y voit plus rien, on n’y comprend plus rien, car on n’y détache, articule, distingue plus rien

/ N’y chercher aucune dissertation mais considérer, quasi isolément, chaque phrase comme une ligne de pêche lancée dans l’élément sans présomption de ce qu’elle en retirera. Ou comme on balance des énormités. Toute phrase est hasardeuse.

/ Les phrases vivent en l’air : sont des formes de vie en l’air. Les phrases se lancent, émettent en l’air. 

Une phrase est une forme de vie.

Sur le palier le témoin lumineux du détecteur de fumée me fit, au-dessus des yeux et sans éclairer rien, l’effet d’un orage éloigné, à l’éclair unique, noyé dans l’horizon, et muet. 

C’est comme l’éclair isolé d’un orage lointain, mais juste au-dessus de la tête. C’est comme un éclair isolé et comme détaché d’un orage lointain, perdus l’un et l’autre et comme l’un pour l’autre. Cela se produit dans une séparation générale, une disjonction des causes et des effets. Sans un son, sans que rien ne se communique plus de l’un à l’autre. Cet éclair n’est pas noyé à l’horizon par la distance — et quel horizon y aurait-il ? —, mais tombe juste au-dessus de la tête, et non pas, précisément, dans, mais sur l’œil, à la périphérie de sa vision — et qu’y a-t-il sinon à voir ? —, à sa surface.  Et cependant ni pointu ni perçant, ni rouge, comme on l’attendrait du clignotement d’une diode, mais décoloré, se manifestant par une déperdition et de l’intensité et de la couleur — ce qui me cueillit sur le palier

il faut imaginer cet éclair se reproduisant régulièrement, à intervalles assez longs, mais longs seulement pour quelqu’un qui en attendrait le retour

Comment mieux dire : cela clignote pour soi (en soi ? non, cela est pure signalisation, pure extériorisation, manifestation, cela n’est témoin que de soi, de son alimentation), forme de vie autonome, comme un fantôme de météorologie épinglé là. C’est ça. Ce boîtier contient un éclair fantôme. (Ce n’est qu’) Un témoin visuel d’autonomie, d’alimentation électrique, qu’allais-je y voir un orage ? Je n’y vois rien, c’est seulement que, dans le noir, il a flashé juste au moment où je passais ; où je me déplaçais ; où je me transférais, mouvait dans le noir (ainsi remuant le noir) et non pas qu’il soit, en plus, un détecteur de présence — et serais-je une fumée ou, disons, un banc de brume, il se mettrait à hurler : aurait réveillé (toute) la maison. Non, il marque seulement là, par ce flash ou point de grisaille ou de cendre, son autonomie. Son clignotement, son clignement de loin en loin n’est ni plus ni moins que le signe de sa prise d’autonomie par rapport à l’alimentation générale.

— mais je suis quoi pour raconter ça ? Quel courant d’air de la maison ayant pris son autonomie et une espèce de parole — toute instrumentale, toute discrète, ambiante ? Qu’est-ce que je me raconte/chante-là

/ pour être cueilli

ça n’a plus rien à voir avec un détecteur de fumée fixé au plafond en haut de l’escalier

… une étincelle, est-elle verte ? verte luisante ou pâle ? un orage ou quoi dans l’interrupteur interrompt la VMC, à l’interruption, sans un clic dans les doigts, coupe le souffle de la maison…

Sous la pointe du pied la barre du seuil de la marche d’arrivée, le contact du bois, la rampe (main courante, fil de l’eau) à main gauche, épaule droite contre le mur, épaule et main (d’un seul mouvement) glissant en parade (et amortissement), la plante contre l’arrondi du nez, se laisse rejoindre le giron, de la marche, de sa suivante, un pied à droite, un à gauche, la configuration de l’escalier de menuiserie déplie/déroule son cadre/axe structurant, est comme une ligne de vie, une passerelle entre deux états, endormi/éveillé et une cage plongée dans le noir et comme pour s’en protéger, garde-corps (les requins des Dents de la Mer), est/procure une sécurité, l’escalier est à la dimension d’un corps, la coupe ou gabarit en est classique, ajusté, il tombe droit, ni moulant (tight fit) ni trop large (s’évasant cependant en tournant, quart tournant bas, où les marches sont balancées, plus larges, moins assurées, au giron déséquilibré, plus étroit au collet — tant qu’il y a un escalier le corps est / se tient en sûreté, est entre de bonnes maison, sur de bons rails, dans l’aire ou le sas de protection d’un escalier (dans la descente, dans la cage), ne craint pas la remontée, l’engloutissement du noir, peut toujours remonter d’un degré ou y stationner, les deux points de pieds dans le giron, les fesses à cheval sur le nez de la marche juste au-dessus, le temps de se poster pour voir, voir dans le noir, pour y voir, tout le temps qu’il faut, qu’il faudra, l’escalier est un rempart, tant que dans le noir se tient / il y a un escalier, et bien qu’à claires-voies, mais qui ne sont pas des voies d’eau, il est assuré qu’un corps s’y tient, s’y loge, s’y cale, un corps a toute sa place, assis, debout, en suspension dans un escalier (un nu (masculin) descendant un escalier dans le noir, dit la légende du tableau monochrome), a toute sa place, toute envergure ou latitude dans sa posture/position, sauf l’allongée (lui est interdite, ne lui est pas permise (ni à genoux, l’accroupie est dangereuse/déconseillée risquant la perte d’équilibre et la chute/roulade/culbute dans l’escalier), un corps qui sorti de son lit ne sait pour aller où ni faire quoi de ses membres, où les jeter/lancer ou déposer, à quoi dans le noir les employer (si ce n’est en parade et pare-chocs, antennes et équilibre/stabilité), est assuré de trouver dans un escalier (une espèce de déambulateur, de béquilles, stabilisateurs de la descente, la descente au risque de la chute dans le noir, ainsi toutes extrémités du corps se maintenant au plus près des éléments sous lui assemblés, solidaires, pour lui rassemblés là, imaginer, dans le noir, un escalier s’assemblant au fur et à mesure des pas, sous eux, chaque marche étant générée par le lancer en avant de la jambe, les plantes des pieds frôlant, caressant, effleurant le bois de sapin verni et puis déverni et des échardes aux nez se formant mais peu à peu émoussées par le frottement des semelles, des chaussettes, de l’épiderme de la plante au choix épaisse aux pointes et talons ou particulièrement fine ou chatouilleuse sous la voûte plantaire — de guides, de rails) un environnement (corporel) structurant, tranquillisant, stabilisant, un potentiel rétablissant ou de rétablissement sur ses pieds, garantissant la bonne marche de la position debout, qui emploiera toutes les ressources préhensiles / sensori-motrices / articulaires de ses extrémités, des orteils des pieds aux mains aux bouts des bras, seront sollicités et employé pleinement ainsi que les articulations des membres tant inférieurs que supérieurs — ce qui signifie ou implique ou nécessite ou prouve l’existence des coudes et des genoux, mais encore des poignets et des chevilles, la chaîne articulaire, musculaire et symétrique étant pleinement mobilisée, donc présente au complet (sans parler, intermédiaire, centrale, de l’articulation ou tangage ou balancement du bassin et des hanches), dans cet escalier posé contre la cloison sud du séjour, pour s’ajuster, faisant preuve tangible si ce n’est montre de sa souplesse, de sa capacité motrice d’adaptation et lecture, dans le noir, du terrain, à la capacité d’accueil en retour (en sorte que le corps répond à l’escalier qui répond au corps, il y a à chaque marche un jeu de questions réponses entre l’assemblage, la structure de l’escalier et l’anatomie du corps, l’un étant comme la condition de l’autre et en garantissant l’intégrité (l’un étant à la mesure et aux proportions de l’autre, l’escalier garantissant l’impossibilité de la perte de toute proportion, de la disproportion, un escalier ne s’évanouira pas sous les pas, tant que le corps l’épouse en ses extrémités au plus près, un escalier ne s’échappera pas, ne se soustraira pas, pas de marche manquée, l’escalier se tient là pour passer notamment d’un moment de la journée à l’autre, et même si ce n’est pas l’heure (d’être debout), l’escalier se tient là à toute heure, de la nuit comme du jour, c’est la disponibilité de l’escalier et son espace qui n’est rien moins que libre, sitôt qu’un corps y est engagé, dans un escalier intérieur de maison il n’y aura toujours qu’un corps à la fois (comme dans des toilettes — d’ailleurs, dans cette maison, à l’étage, la porte des toilettes se trouve pile dans l’axe montant de l’escalier, si bien que l’on peut voir, s’il allume, sous la porte les deux pieds de qui s’y trouve, ou se trouve à y être), ses craquements d’une marche ou de tout l’ensemble n’étant / ne constituant pas le moindre des signes de sa réactivité (de son potentiel de réaction, de sa prise en compte du poids du corps, de sa réponse et de son attachement à sa fonction de soutien et d’accompagnement de la montée ou, ici, présentement, de la descente, un corps (un corps humain, précisons) peut dans le noir et en confiance s’attacher à un escalier sans risque de rupture ni de l’un ni de l’autre, ou d’en voir les parties se disjoindre (il y a adhésion si ce n’est adhérence de l’un à l’autre, une forme d’épousailles ou épousement ou ajustement, en sorte que descendre à pleine envergure des bras un escalier, c’est un peu l’embrasser : embrasser un escalier dans le noir), sans le risque d’une mauvaise appréhension des écarts ou distances et donc du faux pas, de trébucher, le corps ayant la mémoire de l’escalier, l’ayant intégré et se l’étant assimilé et donc, dire (que) : il y a un corps dans l’escalier, n’empêche pas de dire (aussi) (que) : dans le corps il y a un escalier / qu’il y a un escalier dans tut corps (et dans toute tête), tout corps humain comprend (au moins un) escalier (imprimé noir sur noir dans la tête, aucune tête humaine n’a besoin de lumière pour descendre un escalier qu’elle connaît par cœur, sans même le savoir, sans pouvoir même en dire rien, ni le décrire, même pas dire combien de marche, et pourtant savoir quand la marche de départ est rejointe, le plancher, le sol est atteint, c’est l’escalier qui, de la chambre dans le noir descend au séjour où le noir est un peu moins complet (ceci étant dû au fait que la maison est une des rares du quartier à n’être pas encore dotée de volets roulants électriques ou à ouverture automatique soumise à horloge avec programme aléatoire possible en cas d’absence pour ne pas tenter les voleurs qui à certaines heures extrêmes de la nuit, mais il y en a également en pleine journée, quand les heures se font océaniques, sont les seusl usagers et maraudeurs dans le noir ou la nuit des rues)

/ se guidant / s’aidant (s’appuyant, s’assurant) du nez sous la plante pour se laisser descendre d’un degré et poser/reposer/déposer (se soulager du poids du corps tenu sur une jambe) dans le giron de la suivante (le giron étant la distance horizontale de nez à nez des marches, ou leur découvert ou profondeur), dans une suspension au souffle ayant en tête de ne pas la faire craquer, comme si tout l’édifice de la maison et de son silence ou repos reposait sur cet escalier premier prix Lapeyre (qtbas), sa construction, son équilibre, son assemblage, sa stabilité, ou était suspendu à sa descente en toute fluidité, toute quasi immobilité dans un un deux trois soleil permanent

(marcher sur la pointe dans le noir des pieds est fait pour réduire le choc du pied sur le sol, notamment pour réduire le bruit lié au déplacement. Cependant, la diminution de bruit peut être compensée par la réaction du sol à l’augmentation de pression.)

— voilà cela qui est écrit sous l’escalier, la teneur de ce qui se resserre et concentre page contre page et noir sur noir dans le coin sous l’escalier, dans son (quart de) tournant, dans un carton de déménagement ; dans des chemises ; dans des classeurs ; dans des dossiers ; dans des trieurs ; dans des valises 

/ repères / une perte d’équilibre due à l’absence de repères / un escalier offre toujours une prise, car il comporte un garde-corps (un escalier est un garde-corps, une cage), à laquelle se raccrocher, à la différence d’un cahier sur lequel un stylo court en aveugle, la page et le stylo ne lui étant même pas une canne blanche ni une ligne en relief car la page est lisse et glisse et le précipice, c’est-à-dire la sortie de cahier ne prévient pas et il faut toujours revenir à la ligne avec les risques de chevauchement que cela comporte, ce qui ne risque pas d’arriver dans un escalier où l’on ne peut pas, en toute probabilité (?), deux fois de suite descendre la même marche

/ dans le noir qui n’est pas sans image le lexique de l’escalier, en dessine un à claires-voies (à balustres et sans contremarches, ni finition inférieure — cet escalier n’est pas un coffre, pas coffré, mais une simple passerelle, volée, enjambée, élan, descente, une descente d’escalier

Dans la descente d’escalier (= la cage)

/ aux prises, dans le noir, avec les mots de l’escalier

(…)

Teasers

(…) Les mots fondent comme des sucres dans le noir. Les marches. Se descendent. se montent. Tout un escalier se confond avec et dissout dans le noir. Qui est une construction, se résorbe et lisse, dans le noir, est tout contour, n’a que des contours à caresser dans le noir se pénétrant sans fin, sans rien qui touche, sans fond, que du fondu au noir, sucre fondu entre les jours.

Le dessous de ton pied colle, tu dis. Tu as trouvé ce matin du sucre dans l’escalier. Ton pied l’a trouvé. Et tu as demandé qui c’était, sans attendre vraiment de réponse. Le dessous sucré de ton pied.

2 commentaires à propos de “#été2023 #08 | Séjour (Brouillons du)”

  1. Tu nous en dis un peu sur le processus d’écriture de ce texte ? (je n’ai pas lu jusqu’au bout, l’écriture poétique est parfois difficile à lire d’une traite)