Transversales #02 |7,6,5,4,3,2,1 Elles disent

elles disent vouloir à nouveau se fondre avec Zeus autrefois transformé en taureau et dont elles descendent qui fonde en partie le berceau de leur origine soit ce lieu où elles veulent rester

elles disent vouloir préserver une identité que l’alliance avec leurs cousins corromprait et sont finalement emmenées à l’abri sur l’ile

à la nouvelle de l’arrivée prochaine à Argos des égyptiades venus les chercher elles disent préférer la mort, vouloir plutôt se pendre à un lacet ou se jeter du haut d’un précipice

elles disent faire d’horribles rêves sombres supplient Pelasgos, roi d’Argos, de les accueillir alors que ce dernier va craindre une guerre

la fuite se fait en direction d’Argos en Grèce les danaïdes s’expriment à travers un chœur de voix elles ne forment qu’un seul personnage elles gardent sans cesse sur elles des rameaux d’oliviers dans des tissus de laine et les déposent sur les autels

Danaos et Egyptos sont les descendants d’Epaphos, fils de l’union de Zeus et d’Io, la protectrice d’Héra, que celle-ci jalouse, a transformée en génisse, de ce même Epaphos procède la lignée d’Héraclès libérateur de Prométhée

le roi Danaos qui règne sur la Lybie reçoit la prophétie de sa mort future par l’un des enfants issus de la progéniture de ses 50 filles les danaïdes et des 50 fils de son frère Egyptos (lui, roi d’Egypte), les égyptiades, l’unique solution est de s’enfuir avec elles qui refusent toute union avec leurs cousins

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en Sicile, il tremble devant la solitude de sa mère et des autres siciliens, celle du chinois égaré, de la jeune femme malade, celle de l’aiguiseur de couteaux qui se plaint qu’il n’y a plus rien à aiguiser ; on lui dit qu’il pleure mais il dit non ! il dit qu’il se souvient

sa mère allait voir les gens invisibles soit, dans les maisons obscures et humides, les gens qu’elle connaissait à qui elle faisait des injections contre la malaria, à qui elle disait, pour leur être agréable, le contraire de ce qu’elle avait dit aux autres

sa mère, la mère-abeille, la mère-oiseau qui était souvent enveloppée d’un châle ou d’une couverture était pleine d’un temps, celui rempli du passé du genre humain, de l’enfance, des hommes et des fils

les trains en Sicile s’enfonçaient dans les roches (où étaient aussi construites les maisons), les bosquets d’orangers et les figues de barbarie ; les trains de marchandises étaient pris par les enfants pour aller à l’école et pour revenir à leurs habitations, aussi par les gens du village qui allaient aux petits spectacles théâtraux des environs où son père jouait Macbeth ; il y avait ce dialogue avec le train

émergent des odeurs de terre, de fromage, d’origan, celles des harengs grillés, des oignons cuits sous la cendre, la musique des clochettes attachées aux licous des chèvres, des chevaux lors des processions religieuses la nuit, le bruit des torrents, des grillons, la présence des soufrières où les hommes travaillaient, les trahisons

il parle seul avec sa mère dans un intérieur tout en clair-obscur, des échanges de paroles regards gestes et de silences établissent un dialogue qui les fait se rappeler ou interroger le passé

un homme, après 15 ans passés aux Amériques, rentre chez lui pour retrouver sa mère en Sicile, il traverse le pays en train

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certaines autres sont spéculaires offrant deux images d’une même ville, sur la terre dans le ciel, des images de villes de vivants et de morts, des villes séparées par l’image de leurs reflets dans des lacs et dont les gestes des habitants sont inversés, des villes souterraines peuplées par des morts que veulent imiter les vivants

certaines autres sont plongées dans l’obscurité et l’argile, elles font entendre, l’oreille collée au sol, des portes qui claquent

certaines autres sont des villes de fils qui reliaient des maisons dont les habitants ensevelis sous les fils ont fui avec les maisons, regardant de loin les fils à la recherche de formes ; parfois les fils d’un tapis renferment la vraie forme des villes

certaines autres permettent à n’importe quel moment de se retrouver au milieu d’un même dialogue dont les interlocuteurs peuvent interpréter plusieurs rôles en même temps

certaines autres sont comme une feuille de papier : elles ont un endroit et un envers sans épaisseur, les figures sur les deux côtés ne peuvent pas se regarder

les villes ont en elles une mémoire collective silencieuse dont chacune est la détentrice comme au travers des lignes muettes d’une main

Marco Polo arrivé en Chine raconte à l’Empereur mongol Kubilaï Khan les villes qu’il a traversées, il raconte  avec ses mots mais aussi dans ses silences, des gestes de la main ou en désignant les pièces d’un jeu d’échec que peuvent être des cavaliers, des dames ou des rois ; Kubilaï Khan veut parfois raconter à la place de Marco Polo

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la mort de son père était pour elle la seule chose qui fut vraiment arrivée et qui se répèterait sans fin

les choses les plus horribles devaient arriver en dehors du temps soit parce que le passé immédiat semblait séparé du futur soit parce que les faits qui les composaient semblaient ne pas se suivre les uns les autres

les labyrinthes peuvent être faits de portes, d’escaliers, de murs comme de rêves, ils peuvent être aussi des déserts

les soufis répétaient leurs propres noms et les 99 noms de leur dieu au point d’en oublier qui ils étaient

tous les hommes semblent fixer l’observateur de l’aleph comme un miroir sans renvoyer son image

l’aleph est cette sphère en verre dont le centre n’est nulle part et la circonférence en aucun lieu, qui renferme toutes les choses, les univers, les éléments, ces pierres qui rendent similaires deux maisons à distance de siècles, ces soldats survivants d’une guerre sur le point d’envoyer des cartes postales

tout existe un nombre infini de fois, les individus cachent d’autres individus, les rêves d’autres rêves comme celui de l’homme qui rêve d’être enseveli sous du sable dans une prison

A propos de sandrine cuzzucoli

Aime le temps suspendu en contemplant, lisant, dessinant, parlant, regardant le plafond, les visages, peintures, ciels.. Dans mes études passées mais encore présentes!: la littérature américaine, italienne, les beaux-arts, la traduction et d'autres choses depuis... Ecris en revue depuis environ 5 ans, dessine depuis plus, c'est un aller-retour constant un peu comme un Appel de la Forêt, le titre d' un des premiers livres de Jack London- que j'ai aimé!