#été203 #00 | Un livre, un seul ?

Mais qui croit vraiment qu’il faudrait sauver un livre et un seul de sa bibliothèque si jamais elle venait à brûler ? A part les inconditionnels un peu béats de cette émission de télé soi-disant littéraire où l’on se tape sur le ventre en feignant de croire qu’un livre, un seul a changé des vies .

Les livres lus pendant l’enfance, que puis-je en faire ? Certains d’entre eux, pourtant, à la tranche rose puis verte ont laissé une forte impression. Du Club des cinq aux Six compagnons, en passant par quelques « classiques » , ils ont accompagné l’enfance et fait prospérer le désir de lecture. Ils ne sont plus, et depuis longtemps, sur les étagères de mes bibliothèques. Mais ils ont compté, à coup sûr !

Je crois qu’à chaque strate de la vie correspond des œuvres et des auteurs. Une strate a l’épaisseur d’un cycle scolaire, universitaire ou professionnel. Ce qui explique, peut-être, que je conserve des ouvrages dont la seule utilité est d’être une béquille à ma mémoire défaillante . Il faut parvenir aux confins de ce continent si mal nommé « retraite » pour établir des inventaires et envisager de se défaire d’une grande partie des livres qui, ayant colonisé les endroits les plus improbables de la maison et de soi-même doivent être être chassés comme le sont désormais tous les colons . Je me défais de certains livre comme je me défais de vêtements confortables mais passés de mode ou usés jusqu’à la corde. J’attends le plus souvent la dernière extrémité poussé par la nécessité de gagner de l’espace, de me donner de l’air.

Faut-il donc un livre et un seul ?


Alors, je choisis ce livre de poche dont la couverture avait attiré mon attention. Photo de famille devant la vitrine d’une échoppe. Une boucherie ? En tout cas, il s’agit d’une famille dont les membres ne sont pas sortis de la cuisse de Jupiter. Il tombait bien car, à l’époque, je ne me sentais pas vraiment issu de cette cuisse mythique. Et en le lisant, sur la demande expresse de mon prof de français, j’y ai retrouvé tout ce qui me séparait du milieu dans lequel je m’étais retrouvé plongé en entrant au lycée. La misère, la vie précaire, les espoirs vite déçus, les promesses jamais tenues, les femmes victimes du comportement des hommes. Entre la fin du XIXème siècle et les années 70, qu’y avait-il de changé? Les hommes boivent et exposent leur famille aux aléas, les femmes triment pour tenter de sauver ce qui ne le sera jamais. Et cette expression terrible à la mort de l’un de ces pauvres « héros » de l’histoire : « ça fera toujours un soiffard de moins !  » . Je me suis enquillé ensuite les vingt volumes de la série. Il me semble avoir fait alors, avec ce roman naturaliste, mes premiers pas de sociologue. Et aussi, mes premiers pas d’homme conscient de ce qui broie les hommes.

4 commentaires à propos de “#été203 #00 | Un livre, un seul ?”

  1. « Mais qui croit vraiment qu’il faudrait sauver un livre et un seul de sa bibliothèque […] Je crois qu’à chaque strate de la vie correspond des œuvres et des auteurs. Une strate a l’épaisseur d’un cycle scolaire, universitaire ou professionnel. Ce qui explique, peut-être, que je conserve des ouvrages dont la seule utilité est d’être une béquille à ma mémoire défaillante. […] Entre la fin du XIXème siècle et les années 70, qu’y avait-il de changé? Les hommes boivent et exposent leur famille aux aléas, les femmes triment pour tenter de sauver ce qui ne le sera jamais.[…] Il me semble avoir fait alors, avec ce roman naturaliste, mes premiers pas de sociologue.

    En quatre paragraphes et une seule question centrale, vous décrivez à votre humeur un itinéraire dans lequel je me retrouve intégralement versus psychologie et psychiatrie. Lire et mémoriser pour comprendre plutôt que pour apprendre, classer, archiver, faire disparaître (si on en a le goût et le temps),tout ce qui n’a plus d’utilité immédiate. Voilà l’un des chantiers à boucler si on en a encore le désir. Que peut-on encore espérer écrire sur « ce qui broie les hommes » ? Vous semblez plutôt fataliste, mais ce plaisir d’écrire, l’avez vous quitté ?

    • Merci pour ce commentaire. Quels qu’ils soient, les commentaires sont encourageants. Et s’ils émanent de personnes qui se retrouvent peu ou prou dans ce qui est dit, alors les quelques lignes que l’on a écrit ne sont pas inutiles. Fataliste, oui, sans doute ! En tout cas, il est loin le temps où le bulletin municipal de la Ville où j’arrivais comme Directeur des Services titrait ( mais c’était extrait de l’entretien que les communicants avaient sollicité pour me présenter aux collègues)  » la littérature et la musique m’ont sauvé  » ou une ânerie du même genre. Je ne regrette rien, mais il me semble être plus clairvoyant. Un centième des livres que j’ai lus ou des CD que j’ai écoutés aurait suffi et ils ne m’auraient de toutes façons pas sauvé. Ecrire non plus au demeurant quoi que ce soit déjà mieux.  » Un sport et un passe-temps » tout au plus.