## Double voyage # 08 Votre cher enfant | Unique

# CARNET INDIVIDUEL

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Revenir aux rives élimées du langage…

L’ENTAME DES JOURS (blog)

L’ENTAME DES JOURS [ chantier ]

« Recherchant des preuves de la réalité dans la réalité »

NATHALIE QUINTANE

# 01

RECONSTITUTIONS

André VOLAND

Portrait 1 : Garçonnet un an  – yeux en amande – se tient au barreau vertical d’une chaise de photographe – sage – sans doute étonné – grand-mère maternelle a payé les deux clichés – enfant chéri – elle préférait le garçon à sa  sœur – elle n’aimait pas sa fille … – Mauvaise ! disait ma mère.

André et Grand-Mère Maternelle

Je le tiens mon personnage, il est réel mais inaccessible – il pourrait être en vie ou sur le point de quitter la vie – une vie bien remplie – Mais on lui a volé sa vie.

Je fais partie à présent des femmes à tristesse profonde – un héritage  – une mission –  un devoir de mémoire.

Les récits maternels – la légende lacunaire – l’obsession – l’inguérissable perte – le non-pardon – la colère – d’autres malheurs encore avant et après – ça n’en finit pas …

Parti en 1941 au STO – Une seule lettre envoyée à son père, sa soeur et une autre à sa fiancée. Deux tentatives d’évasion. Repris et déporté à Dachau – Atteint du Typhus – Admis à l’infirmerie. Serait déclaré mort en 1945 au moment de la Libération du Camp – Transporté dans un Hôpital Américain ( où ?). Un Abbé Déporté-Volontaire a attesté qu’il lui avait fermé les yeux. Le Ministère des Armées accorde la mention « Mort pour la France » après bien des tergiversations administratives – Aucune précision sur les conditions d’inhumation.

On peut toujours gratter la terre en vain – les preuves verbales ont disparu – la mémoire n’est qu’archives à numéros –  presque  anonymes – des bribes dans la grande Histoire – des lettres perdues ou jaunies – des documents chétifs qui se désagrègent – André n’a pas de sépulture là où il est mort – Le lieu exact est incertain – Sa mère de naissance n’a pas eu de tombe non plus – Lui, juste une plaque que sa sœur a fait graver sur la tombe de son père et de sa belle-mère. Mort à Dachau. Il a fallu attendre 1951 pour avoir confirmation d’une date de mort certifiée (sans garantie).

Je n’ai pas encore eu le courage d’aller au Musée d’Histoire de Lyon pour consulter les archives disponibles. https://www.chrd.lyon.fr/.

« Car un homme dont une personne au moins autre que lui-même peut certifier l’existence ne disparaît pas sans donner une explication à sa disparition, pense cette personne »

Nathalie quintane

Les Parents
Les médailles du Père avant son mariage en 1920
Prisonniers photographiés en captivité sans leurs galons
Soldats Travailleurs 14-18

Il ne faudra pas y retourner par quatre chemins – une seule ligne de train – un passage de frontière –  un exil – une captivité – une rude soumission  sous garde armée – regards fuyants ou hostiles. L’enfer sur terre. Le reconstituer ?

Inventorier les choses sûres :  date de naissance- 7 Juillet 1921 à 9h45 – lieu de naissance Fareins dans l’Ain  au Château de Fléchères où parents employés : lui Régisseur Jardinier, elle  Couturière-Tuberculeuse – Orphelin de mère en 1933 – Une petite sœur qu’il appelle Monette – Solidarité – Remariage paternel 1938  – Un homme ne peut pas rester  seul – Mariage arrangé – Une Italienne née à Bergame, couturière elle aussi – Vie ouvrière et campagnarde jusqu’à la réquisition – tentative avortée d’y échapper –  voulait partir en Angleterre – se déplace à vélo – dénonciation du co-locataire de chambrée   – arrestation sur le lieu de travail  – départ immédiat  – aucune valise. Présence du père alerté par Patron, de la  sœur (unique), de la fiancée et de la cousine à la Gare des B . – dernières paroles criées dans la foule -Police française Pétainiste à la manœuvre – Ne se retourne pas : « Ne m’enlevez pas mon courage ! »

Avec la mise en place du STO, le recrutement, de catégoriel, se fait désormais par classes d’âge entières. Les jeunes gens nés entre 1920 et 1922, c’est-à-dire ceux des classes « 1940 », « 1941 » et « 1942 » ont l’obligation de partir travailler en Allemagne (ou en France), s’agissant d’un substitut au service militaire. La jeunesse, dans son ensemble, devient la cible du STO. La classe « 1942 » est la plus touchée et les exemptions ou sursis initialement promis aux agriculteurs ou aux étudiants disparaissent dès juin. Théoriquement, les jeunes femmes sont aussi concernées mais, par peur des réactions de la population et de l’Église, hormis quelques cas individuels, elles ne sont pas touchées par le STO

Respirer un bon coup – Pleurer sur les photos en noir et blanc – si peu nombreuses – ravaler les larmes et la rage – serrer les poings – ne jamais oublier.

Adolescence Apprenti Menuisier Ebeniste
Dans les Vignes Beaujolaises
Premier Costume du Dimanche
Frangin Frangine
André et Aimée Fiançailles

Il ne faudra pas y retourner par quatre chemins – une seule ligne de train – un passage de frontière –  un exil – une captivité – une rude soumission  sous garde armée – regards fuyants ou hostiles. L’enfer sur terre. Le reconstituer ?

7 h 51 min 
726,4 km 

Inventorier les choses sûres :  date de naissance- 7 Juillet 1921 à 9h45 – lieu de naissance Fareins dans l’Ain  au Château de Fléchères où parents employés : lui Régisseur Jardinier, elle  Couturière-Tuberculeuse – Orphelin de mère en 1933 – Une petite sœur qu’il appelle Monette – Solidarité – Remariage paternel 1938  – Un homme ne peut pas rester  seul – Mariage arrangé – Une Italienne – Vie ouvrière et campagnarde jusqu’à la réquisition – tentative avortée d’y échapper –  se déplace à vélo – dénonciation du co-locataire   – arrestation sur le lieu de travail  – départ immédiat  – aucune valise. Présence du père alerté par Patron, de la  sœur (unique), de la fiancée et de la cousine à la Gare des B . – dernières paroles criées dans la foule -Police française Pétainiste à la manœuvre – Ne se retourne pas : « Ne m’enlevez pas mon courage ! »

Avec la mise en place du STO, le recrutement, de catégoriel, se fait désormais par classes d’âge entières. Les jeunes gens nés entre 1920 et 1922, c’est-à-dire ceux des classes « 1940 », « 1941 » et « 1942 » ont l’obligation de partir travailler en Allemagne (ou en France), s’agissant d’un substitut au service militaire. La jeunesse, dans son ensemble, devient la cible du STO. La classe « 1942 » est la plus touchée et les exemptions ou sursis initialement promis aux agriculteurs ou aux étudiants disparaissent dès juin. Théoriquement, les jeunes femmes sont aussi concernées mais, par peur des réactions de la population et de l’Église, hormis quelques cas individuels, elles ne sont pas touchées par le STO

Respirer un bon coup – Pleurer sur les photos en noir et blanc – si peu nombreuses – ravaler les larmes et la rage – serrer les poings – ne jamais oublier.

# 02

 » que mettre à la place de l’endroit où il y avait quelque chose avant ? « 

Nathalie quintane
Deux Orphelins

Portrait 2 : Cet enfant, ce jeune homme qui n’a pas vieilli sur les photos ne livre rien de ses pensées. J’ai essayé de les deviner à partir des nombreux récits maternels et l’évocation de cet amour inconditionnel, qu’elle lui vouait, depuis la mort de leur mère. Ils avaient tout entendu ,en se cachant derrière les portes. La voix du père désemparé,les tantes qui disaient qu’elles ne pouvaient pas les garder tous les deux, qu’elles n’avaient pas assez de place, qu’il fallait les séparer… Et eux deux, se serrant en tremblant, en pleurant. – Non Monette, on ne nous séparera pas, tu verras… N’aie pas peur ! Et ils les ont séparés. Début d’une vie malheureuse. Le père faisant le maximum pour les voir, à vélo. Ne pouvant pas faire davantage et payant leur pension. André se plaint, on le loge dans une chambre humide et froide, à l’écart du reste de la famille, il est toléré, il le sent, il attend de pouvoir partir ailleurs. Il ne vivra pas longtemps avec la belle-mère. Elle, Monette, n’ose plus faire la rebelle, elle ne veut pas assombrir le père. Dès le premier placement, sa cousine du même âge, a été odieuse… « C’est bien fait que ta mère elle est morte « . Paroles inoubliables. Gravées dit-elle, répétées jusqu’à à la fin de sa vie. L’oncle est violent; le vin est à portée de main.Toutes les femmes rasent les murs. Chez l’autre tante, de temps en temps, ce n’est pas mieux, père incestueux… Elle recueille les confidences de l’une de ses cousines… La suite est lamentable… Le veuf met du temps pour trouver une solution. Seul un mariage peut redonner un foyer à ses gosses. Il travaille, il n’a pas le temps de s’en occuper… On lui présente des femmes… Il choisit la plus effacée, la plus recommandée, elle paraît douce et prête à endosser son rôle de mère numéro deux. C’est sans compter sur le rejet violent de la plus petite. On ne remplace pas sa mère.On n’ enlève pas sa photo du dessus de la cheminée. Après des jours d’hostilité démontrée, elle la pousse à bout…Elle reçoit une giffle. Un ouragan déferle dans la maison. Maria Comino pleure. Elle dit : Tu es trop méchante , je veux partir… ». Aubaine et triomphale la petite: « Tu veux partir, et bien tant mieux … Tiens, je vais t’aider à faire ta valise… » Maria Comino laisse faire… Le père a entendu les cris et il se place calmement dans l’encadrement de la porte :  » Bon; maintenant, que tu as tout sorti , tu vas remettre tout en place, elle reste ici ! »… Monette croit que le ciel lui tombe sur la tête.Son père, son héros au regard si tendre lui fait le plus sale coup qu’elle croit possible. Mais elle l’aime et elle doit se soumettre. Son frère n’est pas là pour la défendre, il est parti en apprentissage, et lui a mis de l’eau dans son vin, parvenant à pactiser avec l’intruse. Il tente en vain d’arrondir les angles. Les relations avec la belle-mère resteront tendues jusqu’au propre départ de la maison à 14 ans et au delà… On ne remplace pas une mère…

[ A suivre ]

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A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.

3 commentaires à propos de “## Double voyage # 08 Votre cher enfant | Unique”

  1. Rétroliens : ## Double Voyage | Index | Carnet individuel provisoire – le Tiers Livre | écrire, publier, explorer

  2. toujours cette grande richesse dans tes explorations…
    chouette l’idée d’intégrer des citations de Nathalie Quintane
    et puis renouer un peu le fil avec toi….

    • Chère Françoise, j’apprécie le fait qu’il y ait du « répondant » personnalisé, en lien avec ce que « j’explore », comme tu dis. Le plus difficile à stabiliser , c’est une certaine confiance envers celles ou ceux qui lisent et cherchent à en dire quelque chose. Que ce soit pour questionner ou commenter de façon bienveillante. J’écris de plus en plus en pensant à ce que j’attends de l’écriture partagée. Mes doutes augmentent au fur et à mesure, mais paradoxalement,je prends de la distance et je m’autorise à plus d’audace encore. S’appuyer sur des citations est une façon d’ouvrir le champ en s’arrimant à une pensée que l’on ne connaît pas toute.C’est une sorte de compagnonnage imaginaire qui peut être éphémère, ou durable, cela fait sortir aussi du solipsisme et des circuits de langage à huis clos. Oui, il faut nouer et renouer des fils interpersonnels quand c’est possible et souhaité, même si l’on sait que le temps manquera toujours pour les cultiver et les enrichir. Laisser flotter les mots entre deux regards attentifs. Laisser venir l’envie de dire ou de répondre. Ne rien exiger. Ne rien reprocher. Apprendre à se sentir au chaud dans les silences aussi.