Voyage

Quand je lis, un ourlet violet se déroule sous la ligne noire du livre. Mais je n’arrive pas à suivre tous les mots dans leurs changements, je n’arrive pas à suivre une pensée du présent au passé.

Virginia Woolf, The Waves dans sa traduction italienne, Einaudi, p. 28

Un jour, il est décidé d’aller en classe de neige. Un jour, quand ? L’hiver sans doute, ici ce temps intermédiaire entre l’automne et le printemps où parfois il y a un vent horrible et d’autres la neige, imprévue, troublante au point d’émouvoir et qu’importe si l’on ne peut plus avancer. Longtemps, j’ai cru que ces quelques flocons étaient toute la neige qu’il pouvait tomber jusqu’au jour où, dans le silence immensément bleuté de janvier, elle recouvrit tout dans un silence ouaté. La neige sur les montagnes est tout à fait normale, imaginaire, impensée, jusqu’au jour où elle est là dans le jardin du couvent entre un laurier et deux plants de rosiers.

Un jour, il est décidé d’aller en classe de neige. Sans doute. Tu ne vois que les flancs austères de la roche, le ciel tout en haut, le filet d’eau du fleuve tout en bas et toi, là, à regarder surpris ce monde minéral. Tu découvres le silence obstiné de la terre, têtu, insistant, immuable du calcaire presque granitique mais aux angles doux, polis par les eaux, les eaux, les eaux verdoyantes. Tu es surpris de ne plus voir d’arbres. Et les voilà, mais différents, plus sombres, plus bas, plus durs encore que ceux du maquis qui habitaient ton regard. Tu cherches alors cette terre schisteuse, sableuse, sèche, chaude, à l’odeur sucrée quand tu montais jusqu’au sommet de la colline.

En classe de neige. Le temps fut mauvais parfois, la neige rare. C’était comme être à la campagne. Le dortoir plongé dans la pénombre dès les derniers bavardages permis où parfois se disaient la maison qui manquait, où se découvraient le corps dans le corps des autres. Un jour particulièrement froid, et humide, et mauvais, et triste fini devant une table avec des tasses remplies de thé. Une lumière grise emplissait la cantine. Elle entrait de larges baies vitrées qui donnaient sur les flancs de la colline, couleurs brunes et argentée. Peut-être les traces de la pluie. La pluie, dehors, assourdie par les voix des autres que tu n’entendais pas.

Un jour, le soleil. Visite des parents. Tu te sens comme une marmotte au printemps dans les prés. Incongrue. Surprise. Tu n’oses même pas dire que la visite au village voisin fut un pur supplice mêlée d’une joie étrange. Tu te souviens du village perché et toi, marchant, une route étroite à flanc de vallée. Tu as compté des sous. Le vase est toujours là. Réparé.

Une photo. Un vase. La haute paroi rocheuse fichée dans ta tête. La pluie sur les vitres du réfectoire et la triste forêt sous les nuages, la courbe d’un pré. Les barreaux des lits. Te voilà à la maison, riche d’un trésor et sans possibilité de retour.

Alta Murgia 2011 (c) sylviepollastri

2 commentaires à propos de “Voyage”

  1. Il y a plus de mélancolie que de rires d’enfants dans cette classe de neige…